Cette fiche est rédigée à l’attention des tou·te·s les enseignant·es et éducateur·rices de secondaire. Elle propose différentes pistes de réflexion parmi lesquelles choisir afin de mener une discussion de 15 minutes (ou plus si le contexte le permet).
LES FAITS
Dans une déclaration surprise à la télévision russe jeudi 24 février, le président Vladimir Poutine a annoncé le lancement d’une « opération militaire spéciale » en Ukraine pour, selon lui, défendre les séparatistes de l’est du pays. Les forces armées russes sont entrées en Ukraine et ont bombardé plusieurs villes – notamment Kiev et Kharkiv – faisant plusieurs centaines de blessé·es civil·es et militaires. La Biélorussie, pays voisin allié de Moscou, a également envahi l’Ukraine par le nord et continue de renforcer sa présence militaire. Dans la nuit du mardi 1er au mercredi 2 mars, des troupes aéroportées russes ont débarqué à Kharkiv. Les combats s’intensifient sur l’ensemble du territoire ukrainien.
Une semaine après le début des hostilités, l’Ukraine résiste toujours à l’assaut des forces russes et biélorusses sur son territoire. Une partie de la population a pris les armes, répondant à l’appel du président ukrainien Volodymyr Zelensky de défendre le pays ; une autre partie s’est réfugiée dans les couloirs du métro pour éviter les bombardements mais la situation reste extrêmement dangereuse, précaire et instable. Plus de 800.000 ukrainien·nes ont trouvé refuge dans les pays frontaliers. Plusieurs cas de racisme auraient été observés aux frontières, à l’égard de personnes de couleur : malgré les réfutations des autorités polonaises et ukrainiennes, de nombreux témoignages dénoncent une « hiérarchisation » des réfugié·es visant à prioriser les ukrainiens blancs.
Sur la scène internationale
L’entrée en guerre de la Russie est survenue après plusieurs jours de tension à la suite de la reconnaissance par Vladimir Poutine de l’indépendance de deux territoires séparatistes prorusses – Donetsk et Louhansk – dans la région du Donbass à l’est de l’Ukraine. Dans la foulée, Poutine a signé des accords d’entraide avec ces territoires. Selon le porte-parole du Kremlin, ces accords justifient l’intervention des forces armées russes. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky revendique la souveraineté de son pays et appelle la communauté internationale à soutenir l’Ukraine. Une série de sanctions économiques et financières ont été annoncées par les pays occidentaux, ainsi que l’exclusion de la Russie de divers événements culturels et sportifs. Pour la première fois de son histoire, l’UE a décidé de soutenir un pays tiers, l’Ukraine, en débloquant 450 millions d’euros pour l’envoi d’une assistance militaire à Kiev. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a accusé Poutine de ruiner la paix en Europe, contrairement à ce que souhaite le peuple russe. Lors d’une visioconférence au Parlement Européen, Zelensky a réclamé l’intégration « sans délai » de son pays à l’Union Européenne.
L’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord : une alliance politico-militaire qui promet la protection mutuelle de ses états-membres en cas d’attaque) mais la Pologne, état voisin de l’Ukraine, a invoqué l’article 4 du traité de l’Alliance et la menace planant sur sa propre sécurité pour mobiliser les trente pays membres. Une réunion extraordinaire doit avoir lieu vendredi à Bruxelles.
La Banque mondiale prépare une aide de 3 milliards de dollars pour l’Ukraine. Dimanche 28 février, une première phase de négociation a eu lieu en Biélorussie sans que l’intensité des combats ne diminue sur le sol ukrainien. L’Ukraine résiste et refuse toute capitulation. La Russie réclame la démilitarisation totale de l’Ukraine, considérée comme une menace en tant qu’alliée des Occidentaux.
Une guerre de (dés)information
En marge des combats sur le terrain, une véritable guerre de l’information fait rage, notamment sur les réseaux sociaux. Manipulation et décontextualisation des images et vidéos, fausses déclarations… Les fake news pullulent des deux côtés et sont largement relayées sous le coup de l’émotion ou pour pallier le manque d’informations. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky est également la cible de rumeurs visant à le décrédibiliser ou à influencer le conflit. En Russie, les manifestations contre la guerre ont été interdites et des centaines de personnes exprimant leur désaccord avec Moscou ont été arrêtées. Plusieurs médias indépendants russes sont également impactés : d’après The Kyiv Independent, la Russie a interdit les principaux médias d’opposition TV Rain et Echo of Moscou. Au sein de l’UE, les médias d’Etat russes RT et Sputnik accusés de colporter des « mensonges pour justifier la guerre de Poutine » ont été interdits.
Au moment de l’écriture de cette fiche, la situation continue à se détériorer et l’incertitude demeure quant à l’évolution de ce conflit armé aux portes de l’Europe.
Marine Bardin
Mercredi 2 mars 2022
PENSER LES FAITS
Autodétermination
Les régions de Donetsk et de Lougansk, dans le Donbass, sont habitées par des Ukrainien·ne·s dont la majorité parle la langue russe et est favorable à l’idée de vivre selon les règles de la société russe. Il semble que ces habitant·e·s, pour la plupart, souhaitent l’indépendance de leur région, créer un nouvel État ou rejoindre la Russie.
Une partie d’un pays peut-elle revendiquer son indépendance ? Cela a été massivement le cas dans les années ‘60 avec les mouvements indépendantistes qui ont secoué les colonies européennes. On estime aujourd’hui que ces déclarations d’indépendance étaient légitimes en raison de la domination dont ces pays souffraient dans le régime colonial. Est-ce le cas ici ? Les Catalan·es, les Breton·nes, les Corses, les Écossais·es, les Flamand·es, les Néo-Calédonien·nes ou les Lombard·es peuvent-ils et elles réclamer de faire sécession du pays auquel ils et elles appartiennent aujourd’hui ? Pour quelle(s) raison(s) serait-ce légitime ? Pour des raisons culturelles, économiques ou autres ?
La guerre des mots et des images
Vladimir Poutine utilise des mots excessivement connotés en parlant par exemple de « dénazification » de l’Ukraine. En Occident, les termes pour désigner le président Poutine sont également souvent assez forts (dictateur, tyran, fou). Les communiqués publiés par les deux parties ne disent pas la même chose et les photos partagées ne racontent pas la même histoire.
Ces récits visent à s’attirer l’adhésion de son opinion publique et ses émotions1. Dès lors, comment savoir ce qu’il se passe réellement sur place ? Devant cette difficulté, trouvez-vous important de s’informer ?
La difficulté de comprendre une réalité complexe vous décourage-t-elle ? Vous encourage-t-elle ? Comment vous informez-vous ?
Qu’est-ce qui distingue l’information de la propagande ? Les médias doivent-ils rester le plus neutres possible ou peuvent-il , soutenir ou faire de la propagande pour une partie ou une autre ? S’ils peuvent présenter une finromation orientée, quel critère vous semble-t-il acceptable pour définir cette orientation ? L’avis personnel des journalistes ? Celui du ou de la propriétaire du journal ? Celui de l’opinion publique (sa clientèle) ?
Loi du plus fort et loi du plus riche
La Russie considère que sa sécurité est menacée si l’Ukraine adhère à l’OTAN, son « ennemi » historique. Elle aimerait, aussi, s’assurer le contrôle des richesses d’une partie de l’Ukraine. L’Ukraine, pour sa part, souhaite vivre en paix et décider elle-même de ses propres affaires, adhérer librement à l’OTAN pour sa sécurité.
Est-il acceptable de vouloir imposer sa volonté à quelqu’un d’autre ? N’est-il pas normal, naturel, légitime, que chacun·e poursuive ses propres intérêts ? Faut-il freiner ses propres aspirations pour ne pas nuire à quelqu’un d’autre ? Ne peut-on pas renoncer à son intérêt afin de respecter celui d’un autre ?
Se pose ensuite la question des moyens dont on use pour atteindre ses objectifs. On peut y renoncer pour respecter l’autre, on peut négocier. L’invasion de la Russie en Ukraine illustre une situation de conflit inégal. L’armée russe est, sur le papier, considérablement plus puissante que celle de son voisin ukrainien. Pourtant, depuis notre plus tendre enfance, on nous apprend qu’existe un devoir moral s’imposant aux plus grands de protéger les plus petits, aux plus forts de prendre soin des plus faibles. La Russie, pour des raisons qu’elle estime légitimes, ne respecte pas ce principe. Pourquoi, au fond, les plus forts devraient-ils se préoccuper des plus faibles ?
L’Europe intervient indirectement dans le conflit en soutenant l’Ukraine. Trouvez-vous cette intervention légitime ? Peut-on intervenir dans le conflit qui oppose deux autres États ? Certains disent même que c’est un devoir, le devoir d’ingérence. Qu’en pensez-vous ?
L’Europe est aussi plus riche que la Russie (dont le PIB est inférieur à celui du seul Bénélux). En prenant des mesures de rétorsion sur le plan économique, elle fait jouer la loi du plus riche. Qu’est-ce qui est le plus juste : la loi du plus fort ou celle du plus riche ? Qu’est-ce qui définit qu’une loi est juste ? En quoi est-il important, ou non, de mobiliser le critère de la justice dans le choix de ses décisions ? Dans ce monde interconnecté où tout est interdépendant, une même règle peut-elle être applicable dans tous les cas ?
Mobilisation générale, vraiment générale ?
Les autorités ukrainiennes ont annoncé la mobilisation militaire générale pour contrer l’invasion russe du pays. La mesure concernera ceux soumis « à la conscription militaire et les réservistes ». En outre, plus aucun homme âgé de 18 à 60 ans ne peut plus quitter le territoire national afin de s’assurer de leur disponibilité en cas de besoin.
Certaines femmes rejoignent les forces armées. Elles le font cependant sur une base volontaire. Pensez-vous qu’il soit normal de traiter différemment les hommes et les femmes ? Ceci ne participe-t-il pas à perpétuer une image simpliste et stéréotypée selon laquelle « les femmes sont destinées à donner la vie ; les hommes à la retirer » ou encore « les hommes doivent protéger les femmes et les enfants » (les femmes et les enfants d’abord) ? Que décideriez-vous à cet égard si vous étiez le ou la président·e du pays ?
Objection de conscience
La conscience de certaines personnes ne leur permet pas de tuer un autre être humain. Elles refusent donc obstinément de porter une arme, cet outil dont la destination est précisément de donner la mort. Du temps où le service militaire était obligatoire en Belgique (il le reste dans de très nombreux pays), plusieurs solutions leur étaient proposées (selon l’évolution de la loi) : (i) le service non armé dans les cuisines et les infirmeries, par exemple (mais beaucoup refusaient car ils considéraient qu’ils participaient quand même, indirectement, à tuer des gens) ; (ii) le service civil à la société et (iii) la prison.
Comprenez-vous les objecteurs de conscience ? Considérez-vous au contraire qu’il s’agit de lâches et/ou d’égoïstes qui profitent de la sécurité de leur pays sans participer à sa défense ? Quel serait votre choix si vous y étiez confronté·e ? Certain·e·s soulignent que si tout le monde faisait pareil, le système ne tiendrait pas. Peut-on faire le parallèle avec la vaccination contre la covid (au sens où des personnes qui choisissent de ne pas se faire vacciner profitent de la diminution de la présence du virus consécutive à la vaccination des autres) ?
En Érythrée, le service militaire est à durée indéterminée. Certain·es (il est aussi obligatoire pour les femmes) y ont passé plus de 10 ou 15 ans. Comprenez-vous que des Érythréen·nes décident de fuir le pays et de chercher refuge sous des cieux plus cléments ?
Qui Vladimir Poutine engage-t-il ?
D’un point de vue légal, quand Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, prend une décision, il engage la nation russe. Peut-on pour autant dire qu’il engage chaque citoyen·ne de son État ? Tout le monde, en Russie, n’est pas d’accord avec l’invasion de l’Ukraine. Comment vivriez-vous une situation où les personnes qui vous représentent prennent des décisions qui vont à l’encontre de ce que vous pensez ?
Dans un État démocratique, on peut manifester son désaccord. Ainsi des milliers de personnes ont récemment manifesté, en Belgique, leur désaccord avec les décisions prises par le gouvernement belge en matière de gestion de la pandémie de covid, en matière de respect des droits des migrant·e·s ou en matière de lutte contre le changement climatique. En Russie, les personnes qui ont manifesté pacifiquement leur opposition aux opérations militaires en Ukraine ont été arrêtées. Pensez-vous que l’idée selon laquelle une nation en guerre doit paraître unie derrière son·sa chef·fe justifie qu’on empêche les gens d’exprimer leur désaccord ?
« Not in my name » est un mouvement qui est né aux États-Unis d’Amérique pour protester contre la politique belliciste des autorités américaines après les attentats du 11 septembre 2001. Le slogan fut repris, notamment en Europe pour s’opposer à la participation des forces armées européennes à la guerre du Golfe en 2003. Il est régulièrement repris par des manifestant·es qui veulent exprimer qu’ils et elles se désolidarisent des décisions prises par leurs autorités publiques. Que pensez-vous de ce type d’expression ? Que pensez-vous de la répression de ce type de manifestation par les autorités russes ?
1. Du type « c’est l’autre qui a commencé » etc. À ce sujet, (re)voir les 10 principes élémentaires de propagande de guerre repris par A. Morelli: https://fr.wikipedia.org/wiki/Principes_%C3%A9l%C3%A9mentaires_de_propagande_de_guerre
Pour aller plus loin :