Squid Game : ceci n’est pas un jeu

 

Octobre 2021

 

Cette fiche est rédigée à l’attention des tou·te·s les enseignant·e·s et éducateur·rice·s de secondaire. Elle propose différentes pistes de réflexion parmi lesquelles choisir afin de mener une discussion de 15 minutes (ou plus si le contexte le permet).

Les faits

La série Squid Game, du réalisateur sud-coréen Hwang Dong-hyuk, est diffusée sur la plateforme américaine de streaming Netflix depuis le 17 septembre 2021. Tout comme la trilogie Hunger Games (sortie au cinéma en 2012) ou Battle Royale (2000), Squid Game est un « survival » ou « jeu de survie » : les concurrent·e·s s’y affrontent jusqu’à la mort. Dans Squid Game, 456 joueur·euse·s endetté·e·s espèrent gagner 45,6 milliards de won – la monnaie coréenne, soit 33 millions d’euros – en participant à des jeux d’enfants (1 2 3 Soleil, tirs à la corde, jeux de billes, etc.) où les perdant·e·s sont, au fur et à mesure, exécuté·e·s.

Netflix – qui compte désormais plus de 200 000 millions d’abonné·e·s dans le monde – est peu transparent sur les chiffres de diffusion de ses programmes. Néanmoins, la plateforme a annoncé le 13 octobre, via un tweet, que 111 millions d’abonné·e·s avaient visionné Squid Game depuis sa mise en ligne, sans pour autant préciser si ces dernier·ère·s l’avaient regardée dans sa totalité ou seulement quelques minutes. Squid Game est donc la série qui connaît le plus impressionnant démarrage de l’histoire de Netflix. En raison des chiffres d’audience, Netflix a en quelque sorte une influence sur l’agenda médiatique et culturel : même si on n’a pas regardé la série, elle s’invite dans les conversations avec les amis, la famille etc.

Parce qu’elle est ultra-violente, Squid Game est interdite au moins de 16 ans, ce qui n’empêche pas certain·e·s de la regarder, avec ou sans leurs parents. De nombreux extraits et photos de Squid Game sont visibles sur YouTube ou circulent sur les réseaux sociaux. Au-delà des jeux d’enfants qui y sont présents, la série coréenne attire le regard des plus jeunes avec son univers composé de couleurs acidulées, ses jouets (dont une terrifiante poupée géante) et ses références aux jeux vidéo. Début octobre, les directions de plusieurs écoles primaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont fait savoir que des enfants s’en inspiraient dans leurs jeux, dans les cours de récréation.

Comme le rappelle Bruno Humbeeck, psychopédagogue à l’UMons, sur le site rtbf.be, la violence dans cet espace clos qu’est la cour de récréation existe depuis longtemps : « La cour de récréation est un espace qui génère naturellement de l’agressivité, on le sait depuis des années, donc il faut pouvoir le contrôler et mettre en place des mécanismes qui vont éviter qu’un enfant puisse imaginer qu’il n’y a pas de loi dans l’école. » Notamment pour canaliser cette violence, certaines écoles primaires et secondaires régulent la cour de récréation en divisant cet espace en plusieurs zones (espace calme ; espace de jeu libre : espace pour les jeux de ballon) mais aussi en favorisant le dialogue pour désamorcer et résoudre les conflits qui y naissent.

Le phénomène Squid Game fait beaucoup de bruit et interpelle… Au-delà de la violence et d’une certaine forme de perversité, il aborde des thématiques universelles que sont la vie et la mort mais aussi la pauvreté et les inégalités sociales. Il porte aussi ce message et cette question sur notre société : jusqu’où des personnes désespérées sont-elles prêtes à aller ?

Anouck Thibaut

Penser les faits : quelques pistes

Valeur d’une vie humaine

Squid Game, ce sont 456 personnes endettées, rassemblées sur une île, en milieu clos, pour participer à un « jeu » et tenter de rapporter une somme colossale, à condition d’être la seule personne survivante. Si vous pouviez décider du personnage gagnant ou des quelques personnages survivants qui se partageraient le magot, qui désigneriez-vous ? Pourquoi ? On peut distinguer quatre catégories de critères. (i) Ce que le personnage fera avec l’argent gagné. On peut ainsi préférer une personne considérée comme criminelle mais qui offrira son argent aux pauvres à une autre personne perçue comme étant une « sainte » mais qui le gardera pour soi. (ii) Les caractéristiques physiques du personnage. On peut préférer une personne avenante et sexy à une personne vilaine. (iii) Le caractère du personnage. On peut préférer une personne qui fait attention aux autres à une personne égoïste. (iv) Le passé du personnage. On peut préférer la personne qui n’a jamais fait de mal à celle qui en a déjà fait beaucoup. Faire émerger ces critères, les mettre en balance dans les réponses des élèves. Qu’est-ce qui détermine la « qualité » d’une personne ? À qui revient le mérite de la « qualité » d’une personne ? À celle-ci ? À ses parents ? À la chance ? Si Edmond n’a jamais volé, est-ce parce qu’il est foncièrement honnête ou parce qu’il a toujours vécu confortablement et n’a jamais éprouvé la nécessité de voler ? Si Suzanne est forte en math, est-ce par son propre mérite ou bien parce que ses parents les lui ont expliquées, lui ont offert des cours particuliers ? Si on classait les gens par ordre de « qualité » ou par ordre de « mérite », obtiendrait-on le même classement ? Lequel faudrait-il utiliser pour décider d’éliminer des gens ? Pensez-vous que vous pourriez prendre cette décision ?

Jouer avec la vie d’autrui est-il acceptable ? Le jeu, la mort des autres peuvent-ils être un spectacle ? Dans quel(s) cas seriez-vous prêts à fermer les yeux sur une situation qui vous semble moralement douteuse mais financièrement intéressante ? D’après vous, la fin justifie-t-elle les moyens ? Et si la victoire s’accompagne de sacrifices, est-ce vraiment une victoire ? Y a-t-il un seuil à ne pas dépasser – et si oui, sur quoi repose-t-il ?

Les protagonistes s’inscrivent à ce jeu pour gagner de l’argent avec lequel ils et elles pourront faire quelque chose d’important à leur yeux (soigner sa mère, par exemple). Ces personnes ne le savent pas au moment où elles s’inscrivent, mais au final, ces personnes risquent leur vie pour cet objectif. Qu’est-ce qui mérite qu’on risque, voire qu’on donne sa vie ? Des gens ont donné leur vie pour leur patrie et/ou pour lutter contre le régime nazi. D’autres ont donné la leur pour sauver des gens. D’autres dans des attentats terroristes. Pourquoi seriez-vous prêts à donner votre vie ?

À la fin de la série, la personne qui remporte l’argent se retrouve seule, isolée et traumatisée par les différentes étapes du jeu. Cette personne choisit de continuer à vivre la même vie qu’avant, malgré l’énorme somme d’argent remportée. D’après-vous, pourquoi refuse-t-elle de vivre différemment ? Qu’est-ce que cette personne a gagné en gagnant le jeu ? Qu’est-ce qu’elle a perdu ? Quelle est la valeur véritable de sa victoire ?

Phénomène de groupe

Au fil des épisodes de la série, des dissensions apparaissent au sein du groupe, creusant un véritable fossé entre les protagonistes ; chaque camp se polarise et la situation dégénère. Au contact des autres, notre comportement est modifié : on peut parfois avoir plus de mal à s’affirmer, à montrer son désaccord, à accepter de se démarquer en adoptant un comportement singulier et ce, même quand nous ne sommes pas en accord avec une décision ou quelque chose qui serait attendu de nous. Pourquoi ? Les relations entre les personnes au sein d’un groupe sont-elles toujours régies par une logique de domination et /ou de soumission ? Peut-on se distinguer au sein d’un groupe sans en être exclu·e ?

Une partie de notre identité est façonnée par notre appartenance à divers groupes : un segment de la société (ex : élèves), un lieu (Bruxelles, la Wallonie, la Belgique, etc.) une classe, un hobby, un cercle d’ami·e·s, etc. Le fait d’appartenir à un groupe nous rassure ; mais jusqu’où sommes-nous prêt·e·s à aller pour faire partie d’un groupe ? L’individu peut-il parfois « disparaître » dans le groupe par conformisme social ? Peut-on continuer à être soi-même au sein d’un groupe ou est-on forcé·e – ou inexorablement voué·e·s – à devenir comme les autres membres du groupe ? Quelle est l’importance de votre sens critique au sein d’un groupe (un groupe d’ami·e·s ou le groupe société civile) ? À quel moment devient-on un « mouton » ? À votre avis, sommes-nous réellement libres quand nous faisons partie d’un groupe ? Et si oui, jusqu’à quel point ? Où commence et où s’arrête notre liberté ? Le groupe est-il plus fort que l’individu ? Plus juste ? Qu’est-ce qui fait la force d’un groupe : son homogénéité ou les différences qui coexistent en son sein ?

La représentation de la violence – le mirage de la fiction

Dans les films, les séries, les clips ou sur les réseaux sociaux, la violence est présente. Elle peut être physique (coups, blessures, etc.), verbale (insultes, etc.) ou morale (harcèlement, etc.). Selon vous, existe-t-il une sorte de mode de la violence actuellement ? La violence mise en scène dans les films, les clips, les livres est-elle un exutoire à la violence de la société ? Peut-être sommes-nous toutes et tous intrinsèquement violent·e·s mais nous avons appris à vivre ensemble en observant un code de conduite, un contrat social qui fait que nous nous respectons les un·e·s les autres ? Qu’en pensez-vous ? Dans quelle situation la violence peut-elle se justifier ? La violence est-elle toujours grave ?

Dans certains établissements scolaires, des enfants ont reproduit le jeu 1,2, 3… soleil qui apparaît dans le premier épisode de la série : les perdant·e·s ont été battu·e·s ou fouetté·e·s avec des cordons. Cette violence a été directement dénoncée par les enseignant·e·s. Que feriez-vous si vous étiez témoin d’une scène similaire ?

Comment expliquer le succès de la série auprès des jeunes ? D’après vous, vaut-il mieux interdire aux enfants de regarder Squid Game ou au contraire, les laisser regarder la série en compagnie d’un·e adulte et avoir une discussion permettant l’analyse par la suite ? La signalétique visant à protéger la jeunesse de scènes inappropriées (-16 ans, -18 ans) est-elle pertinente à l’heure du numérique ou la facilité d’accès aux écrans rend-elle cela dérisoire ?

La série diffusée sur Netflix est interdite aux moins de 16 ans, mais de nombreux extraits sont disponibles sur TikTok, Twitch ou YouTube. Téléphones, tablettes, ordinateurs, TV, etc.  Aujourd’hui, les écrans sont omniprésents. Les images que nous regardons au quotidien proviennent de faits réels, de fictions ou de scénarios reprenant tous les codes de la réalité, et alimentant ainsi un certain trouble entre un récit inventé de toutes pièces et notre propre vie. Laisse-t-on parfois l’irréel influencer le réel ? Dans quelle mesure acceptons-nous de nous laisser influencer par quelque chose de fictionnel ? La fiction est-elle parfois préférable à la réalité ?

L’atmosphère sonore et visuelle de la série est très travaillée : des couleurs pastel, des musiques douces comme des comptines, un imaginaire emprunté à l’enfance et aux thèmes qui y sont liés (innocence, douceur, protection). Cette esthétique met en exergue le danger constant qui plane dans le centre, la tension et l’angoisse omniprésentes. Sublimer la violence nous permet-il de mieux l’accepter ? Peut-on être dupé par le « beau » ? Quelque chose de foncièrement mauvais – un geste, une attitude, une parole, un système, une personne – est-il plus acceptable quand il est esthétiquement beau ?

Le jeu et les codes du jeu

Dans Squid Game, le jeu dégénère très rapidement. À quel moment un jeu cesse-t-il d’en être un ? Est-ce encore un jeu si il y a une conséquence dans la vie réelle ? D’après l’historien Johan Huizinga, certaines conditions sont à respecter pour qu’un jeu soit reconnu – et reconnaissable – comme tel : les participant·e·s doivent être volontaires, ils et elles ont librement et délibérément fait le choix d’y participer. Le jeu s’organise en marge de la vie réelle, dans un contexte fictif, durant un temps imparti et dans un espace défini (ex: une marelle, un terrain de football, etc.) qui permet aux participant·e·s d’en sortir à tout moment.

Un jeu peut-il prendre le dessus sur la réalité ? Selon vous, est-ce que d’autres principes (éthiques, moraux, etc.) doivent s’appliquer à un jeu ? À quel moment considère-t-on qu’un jeu va trop loin ? Est-ce encore un jeu si le bien-être (physique ou mental) d’autrui est impacté ? Où se situe la frontière entre le fait de sortir de sa zone de confort et véritablement dépasser les limites ? Cette frontière est-elle définie par les règles du jeu ou par le libre arbitre de chacun·e ? Sous prétexte qu’il s’agit d’un jeu, peut-on faire faire n’importe quoi à autrui ?

L’attrait des séries

Le format de type « série » n’est pas nouveau. Néanmoins, on constate ces dernières années une recrudescence du nombre de séries produites et visionnées. Alors qu’auparavant, elles étaient diffusées à la télévision, à une heure précise (de manière linéaire), elles sont à présent disponibles à la demande (de manière délinéarisée).
Les séries contiennent plusieurs épisodes, permettent de suivre l’évolution des personnages, d’entrer en profondeur dans une histoire, de s’attarder sur certains détails d’une intrigue, d’aborder différents points de vue. Elles sont conçues pour être captivantes. La fin d’un épisode est en général construite pour donner envie de voir l’épisode suivant (cliffhanger). Et vous, quels types de contenus (films, séries, vidéos…) consommez-vous ? Quel genre de séries ? Comment sélectionnez-vous ce que vous regardez ? Selon quels critères ? Comment expliquer cet attrait pour les séries ? Que manque-t-il à la « vraie » vie pour être aussi passionnante que les séries ? Qu’offre la « vraie » vie que les séries n’offrent pas ? Quel point ? Où commence et où s’arrête notre liberté ? Le groupe est-il plus fort que l’individu ? Plus juste ? Qu’est-ce qui fait la force d’un groupe : son homogénéité ou les différences qui coexistent en son sein ?

Marine Bardin

Pour aller plus loin :

Bertrand Henne :  Squid Game, le massacre démocratique (rtbf.be)
RTBF : Des comportements violents inspirés de Squid Game observés dans nos écoles: « Pour avoir le dialogue, il faut avoir regardé » (rtbf.be)
RTBF : Squid Game : la signalétique jeunesse est-elle hors-jeu face à l’artillerie acidulée de Netflix ? « Le contrôle parental est indispensable » (rtbf.be)
CSEM : Disrupting series – Détournements de genre dans les séries
CSEM : Des pistes pédagogiques pour aborder l’éducation au cinéma et à l’image
Média Animation : Éducation aux médias & jeux vidéo : des ressorts ludiques à l’approche critique

Photos : crédits Netflix / AFP

 

 

 
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