Questions Vives

Un réarmement, mais à quel prix ?

12 maart 2025

Cette fiche est rédigée à l’attention des tou·tes les enseignant·e·s et éducateur·rices de secondaire. Elle propose différentes pistes de réflexion parmi lesquelles choisir afin de mener une discussion de 15 minutes (ou plus si le contexte le permet). Crédit photo : iStock

Les faits

Début mars, la Commission européenne a présenté un plan historique pour renforcer la défense du continent. En toile de fond : le changement de ton des Etats-Unis en matière de défense et leur rapprochement avec la Russie.

Ce plan, baptisé « Rearm Europe », prévoit de mobiliser 800 milliards d’euros pour muscler l’arsenal militaire européen. L’annonce est intervenue quelques heures après que les États-Unis ont suspendu leur aide militaire à l’Ukraine, trois ans après l’invasion de son territoire par la Russie.

Aussi soudain que bref (l’aide américaine a repris depuis lors), le revirement des Etats-Unis a fait suite à un violent échange, au cours duquel Donald Trump et son vice-Président JD Vance ont menacé le président ukrainien Volodymyr Zelensky de laisser tomber l’Ukraine. En jeu : l’exploitation de minerais ukrainiens et l’appui sécuritaire américain.

Depuis sa réélection à la Maison Blanche, Donald Trump s’est rapproché de son homologue russe Vladimir Poutine. Le président américain reproche également de longue date à l’Europe de ne pas dépenser suffisamment en matière de défense et de déléguer le coût de sa sécurité aux Etats-Unis dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Celui-ci garantit une assistance mutuelle en cas d’agression d’un de ses États membres.

Les Etats-Unis, champions des dépenses militaires
Avec des dépenses militaires proches de 970 milliards de dollars l’année dernière, les Etats-Unis sont le pays membre de l’OTAN qui dépense le plus en matière de défense, devant tous les États européens réunis.

Toutefois, lorsque l’on rapporte ces dépenses au Produit intérieur brut (PIB), la Pologne arrive en tête. Alors que Donald Trump demande aux Européens de porter leurs dépenses militaires à hauteur de 5% de leur PIB national, la Pologne (4,12%) et l’Estonie (3,43%) devançaient les Etats-Unis (3,38%) à cet égard en 2024.

L’OTAN requiert de ses Etats membres qu’ils consacrent au moins 2% de leur PIB aux dépenses militaires. Mais une poignée d’entre eux n’atteignent pas ce seuil. C’est notamment le cas de la Belgique (avec 1,3%).

Des milliards d’euros supplémentaires à trouver
Chez nous, l’augmentation des dépenses de défense exigera des adaptations budgétaires. Le gouvernement fédéral entend porter les investissements à 2% du PIB dès cet été, au lieu de 2029, comme initialement prévu. Cela représente 4 milliards d’euros supplémentaires à trouver cette année, et 17,2 milliards sur l’ensemble de la législature.

Les règles budgétaires européennes pourraient être assouplies pour permettre aux Etats membres de s’endetter mais cela n’empêcherait pas le déficit de l’Etat belge de se creuser, a prévenu le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem. A moins de prendre des mesures d’économies supplémentaires.

Penser les faits : quelques pistes

Sécurité, paix sociale et bien-être
Les États européens ont décidé d’investir massivement dans leur réarmement. Ces décisions budgétaires sont prises rapidement, notamment en Belgique. Mais où ira-t-on chercher cet argent ?

Faut-il augmenter les impôts ? Faut-il diminuer les autres dépenses publiques ? Quels principes généraux doivent guider cette décision ? À partir de quand peut-on estimer que le risque est suffisamment important pour puiser dans d’autres secteurs nécessaires pour les individu·es et la société ? N’y a-t-il pas là un risque pour le bien-être des populations et donc pour la stabilité à l’intérieur des pays ? Qu’entend-on par « bien-être » ? Quels effets ces décisions peuvent-elles avoir sur la paix sociale ?

Vu le peu d’opposition qu’on entend face à ces décisions, peut-on encore ne pas être d’accord ? Se réarmer est-il la chose la plus importante et la plus urgente à faire par une société confrontée à des défis tels que la pauvreté, le sentiment d’insécurité, le dérèglement climatique, la préservation de l’environnement, la montée du racisme, etc. ?

Temps de guerre et temps de paix
Lorsqu’une menace de guerre survient, le proverbe latin Si vis pacem para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre) est souvent cité. N’est-ce pas paradoxal de s’armer pour avoir la paix ? Une fois armé·e, n’est-on pas tenté·e de se servir de son arsenal ?

Le fait d’être en guerre est rarement (à moins d’envahir un pays) un choix et le contexte peut très vite évoluer dans un sens comme dans l’autre. Dans cette optique, ne vaut-il pas la peine d’être préparé·e ? Se réarmer et apprendre à nous défendre pourrait-il nous apaiser ? Dans ce cas jusqu’où doit-on aller pour se préparer ?

Prendre les armes ?
Supprimé en février 1995, le service militaire était un moyen pour les jeunes hommes belges d’acquérir des compétences utiles en cas de conflit armé. On parle désormais de réinstaurer le service militaire sur une base volontaire en Belgique. Quelle idée vous en faites-vous ? Y êtes-vous favorable ?

Certaines personnes refusent de porter des armes afin d’être sûres de ne pas commettre des actes que leur morale réprouve. Par le passé en Belgique ou encore aujourd’hui dans le monde, des personnes choisissent d’effectuer un service civil (lorsque cela est possible dans leur pays en effectuant un travail d’utilité publique tel qu’une aide dans les hôpitaux, le travail avec des personnes âgées ou handicapées) ou encore acceptent d’être emprisonnées (lorsqu’il n’y a pas d’alternative au service militaire) plutôt que de servir dans l’armée. Que pensez-vous de ces postures ? Trouvez-vous ces comportements égoïstes ou trouvez-vous cela important de rester fidèle à ses valeurs ? Peut-on être soldat·e sans renoncer à son libre arbitre ? Être soldat·e et pacifiste est-il compatible ?

Actuellement, seuls les hommes sont, à l’exception de certains pays, appelés sous les drapeaux, même si des femmes peuvent embrasser une carrière militaire. Qu’en pensez-vous ? Qu’est-ce que cela dit des représentations que nous avons des hommes et des femmes ?

Pourquoi risquer sa vie ?
Certain·es prétendent que « la vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie ». Selon vous, en quoi la valeur d’une vie humaine est-elle si importante ?

Entrer dans une armée, c’est accepter le principe de perdre sa vie au profit de quelque chose. Qu’est-ce qui pourrait justifier un engagement – militaire ou autre – qui pourrait vous coûter la vie ? Se battre pour un idéal, pour une société plus juste, contre une dictature, un État envahisseur ? Sauver la vie d’un·e ou plusieurs membres de votre famille ou d’un·e ami·e ? Votre pays ? Vos biens ? Vos croyances/idées ? Imaginons que les autorités belges envoient des militaires belges se battre en Ukraine aux côtés des militaires ukrainien·nes. Quelles sont les justifications qui vous paraissent acceptables pour que des militaires risquent leur vie ? (i) Se battre en solidarité avec le peuple ukrainien qui en a besoin ? (ii) Se battre pour faire vaincre la démocratie contre une dictature ? (iii) Se battre pour la raison que si on arrête les Russes en Ukraine, on se protège contre le risque qu’elle nous envahisse ensuite ?

Quand nous sommes face à un conflit, une injustice, existe-t-il d’autres moyens de réagir ? Quels pourraient-ils être ?

Respecter les règles du droit international
Tous les pays du monde s’engagent à respecter les règles contenues dans la Charte des Nations unies. Le seul cas où on a le droit de faire la guerre, c’est pour se défendre de l’agression d’un autre État.

Un conflit armé n’est pas une zone ou une période de non-droit. Ce qu’on appelle le droit international humanitaire (ou droit de la guerre) définit les règles unanimement acceptées. Son principe le plus connu est que la guerre ne peut concerner que les personnes et équipements militaires. Les personnes civiles (et assimilées) et les bâtiments civils doivent être préservé·es. On constate actuellement que ce principe n’est pas toujours respecté. Le fait que votre adversaire ne respecte pas le droit de la guerre constitue-t-il à vos yeux une excuse pour ne pas le respecter ? Dans ce cas, où est la limite ?

Un autre principe du droit international humanitaire est le principe de proportionnalité. On ne peut pas utiliser des armes qui causent des dégâts excessifs par rapport à l’objectif. Interdit, par exemple, de bombarder et détruire tout un immeuble pour tuer seulement deux soldat·es adverses. Qu’en est-il de la bombe atomique qui peut effacer toute une ville de la carte et rendre le territoire inhabitable ? De nos jours, on annonce des armes actionnées par l’intelligence artificielle. Ce sera la machine qui évaluera si la cible est militaire ou non, qui décidera de tirer ou non. Qu’en pensez-vous ? Qui sera, alors, responsable en cas de problème ?

La question des émotions dans le climat actuel
Face à une menace de guerre et un climat anxiogène, il est normal de ressentir des émotions telles que la peur, la colère, la tristesse, l’injustice, etc. Les émotions peuvent susciter chez chacun·e des sentiments très contradictoires et très forts. Pour certain·es, la tristesse pétrifie et rend passif·ve, alors que la colère et la peur font réagir, et pour d’autres c’est la peur et la colère qui vont paralyser.

Les images de destruction qui nous parviennent des conflits armés sont effroyables. Elles peuvent susciter plusieurs sentiments. Quelle est, quand vous voyez ces images, la part de colère/tristesse/peur en vous ?

Ces émotions mènent parfois à des réactions instinctives, irréfléchies, irraisonnées, individuellement mais aussi collectivement. Comment gérer nos émotions pour ne pas être désespéré·e/tétanisé·e ? Peut-on dire que la guerre réveille en nous ce que l’éducation, la raison, s’efforcent ordinairement de maîtriser ?

Pourquoi, dans ces situations, le dialogue, la recherche raisonnée d’un consensus, sont-ils difficiles ? Existe-t-il d’autres moyens de réagir ?

Et les médias dans tout ça ?
C’est par les médias (presse papier, radio, télévision, etc.) et les réseaux sociaux que nous avons accès au contexte actuel, aux conflits, aux annonces des dirigeant·es, à l’analyse des discours de ces dernier·ères.

En général et, plus particulièrement dans le contexte actuel, faites-vous confiance aux informations véhiculées par les médias ? Et dans le travail des journalistes ? Constatez-vous une (des) différence(s) de traitement de l’information entre les médias d’une part et entre ces dernier·ères et les réseaux sociaux d’autre part ? Que doivent mettre en place les médias mais aussi les citoyen·nes pour être plus vigilant·es quant aux développements de fausses informations et du risque d’instrumentalisation et de manipulation des médias par les dirigeant·es politiques au service de leurs propres intérêts ?

Au-delà des informations diffusées, de nombreux médias se projettent dans des scénarios hypothétiques : Et si Vladimir Poutine envahit un pays européen ? Et si des chars sont envoyés dans les pays baltes ? Et si des soldat·es belges sont envoyé·es sur le territoire ukrainien ? Envisager ces scénarios est-il une bonne chose pour comprendre les enjeux et s’y préparer ou bien cela renforce-t-il le caractère anxiogène du climat actuel ?

La manière dont sont représentés dans les médias les dirigeant·es des USA ou de la Russie face aux européen·nes ne renforce-t-elle pas la polarisation entre l’Europe et les États-Unis et entre l’Europe et la Russie ?

En termes de représentation, on ne peut également que constater le faible nombre de personnalités féminines présentes dans les médias pour s’exprimer au sujet du réarmement de notre pays, des conflits armés actuels en Europe et dans le monde. Qu’en pensez-vous ? Trouvez-vous cela normal ?

Un autre monde est-il possible ?
Dans le contexte actuel sur lequel nous avons l’impression d’avoir que peu de prise, il peut être profitable de prendre de la distance en s’engageant et/ou en s’indignant.

Sommes-nous de simples spectateur·rices d’un monde violent ou bien pouvons-nous infléchir le cours des choses ? Quelle est la mesure du pouvoir que vous pensez avoir (nulle, minime, énorme) ?

Qu’est-ce qui vous indigne de manière générale et dans le contexte actuel ? Si vous aviez une baguette magique, que feriez-vous ? Passé l’étape de l’indignation, comment désirez-vous agir ? Pensez-vous que cela vaut le coup de s’engager ? Pourquoi ?

Bibliographie :

Pour aller plus loin :


Meta assouplit sa politique de modération : pour quelle liberté d’expression ?

Meta assouplit sa politique de modération : pour quelle liberté d’expression ?

14 januari 2025

Cette fiche est rédigée à l’attention des tou·tes les enseignant·e·s et éducateur·rices de secondaire. Elle propose différentes pistes de réflexion parmi lesquelles choisir afin de mener une discussion de 15 minutes (ou plus si le contexte le permet). Crédit photo : iStock

Les faits

Début janvier, Mark Zuckerberg, le patron de Meta (maison-mère de Facebook, Messenger, Instagram et Whatsapp notamment) a annoncé vouloir renforcer la « liberté d’expression » sur ses plateformes, quitte à filtrer moins de contenus dangereux.

Parmi les évolutions à venir, le magnat de la tech renonce, aux États-Unis, au programme de vérification des faits (fact-checking) qui avait été créé pour lutter contre la désinformation. Instauré après la première élection de Donald Trump en 2016 (au cours de laquelle Facebook avait été vivement critiqué pour la diffusion incontrôlée de fake news susceptibles d’influencer le scrutin), ce partenariat habilitait des agences de presse et médias indépendants à épingler des contenus incorrects pour y ajouter du contexte. Désormais, Meta s’appuiera sur un système de « notes communautaires » rédigées par des internautes, jugés moins « partisans » par Zuckerberg.

Autres modifications : les restrictions sur certains thèmes comme l’immigration ou le genre seront levées et les contenus politiques seront davantage visibles dans les fils d’actualité. Pour opérer ces changements, les équipes en charge de la modération des contenus seront transférées de Californie (un État acquis aux démocrates) au Texas (plus conservateur).

Porte ouverte aux discours de haine
A l’aube du second mandat de Donald Trump, de nombreux observateur.ices ont vu dans cette annonce un gage offert au président élu, alors que ses soutiens se plaignent de longue date du programme de fact-checking, qu’ils comparent à de la « censure ».

D’autres craignent que ce revirement ouvre les vannes de la désinformation et des discours de haine, aggravant la radicalisation en ligne. Alors que les plateformes de Meta comptent des milliards d’utilisateur.ice.s dans le monde, les algorithmes sont conçus pour favoriser les publications qui génèrent le plus de réactions. En l’absence de garde-fous, les contenus extrêmes pourraient donc gagner en visibilité, au détriment de faits vérifiés.

La liberté d’expression régulée en Europe
Dans le sillage d’Elon Musk, patron de la plateforme X, Mark Zuckerberg s’en est également pris à l’Union européenne, qu’il accuse d’« institutionnaliser la censure » par des réglementations trop strictes. Ce que la Commission européenne a formellement réfuté.

En Europe, plusieurs textes législatifs régulent l’espace numérique et la liberté d’expression. Le Digital Service Act (DSA), par exemple, contraint les grandes plateformes comme Meta à respecter les lois qui interdisent les injures racistes ou sexistes, les incitations à la violence ou les contenus terroristes. Reste à voir si ces lois seront suffisantes pour résister à l’influence de la « big tech » américaine.

Penser les faits : quelques pistes

Au nom de la liberté d’expression…
Qu’est-ce que la liberté d’expression ?

La liberté d’expression est un droit fondamental qui permet à toute personne de s’exprimer publiquement sur tout sujet. Ce droit n’est évidemment pas absolu puisqu’il est encadré par des lois.

Faut-il fixer des limites à la liberté d’expression ? Dans quel but fixerait-on des limites à la liberté d’expression ?

Quelles sont, parmi les limitations suivantes de la liberté d’expression, celles qui vous semblent légitimes ?

  • La diffusion d’informations inexactes, de fake news ?
  • Les propos insultants, injurieux, déshumanisants ?
  • La diffusion de messages qui ont ou pourraient avoir pour conséquence que des actes graves soient perpétrés (appels à la haine ou à la violence) ?
  • Les atteintes à la vie privée des gens (informations telles que son état de santé ou son orientation sexuelle, etc.) ?
  • La diffusion de messages « qui visent à la destruction des droits et libertés » (art. 30 de la Déclaration universelle des droits de l’homme). Faut-il tolérer les intolérants ?

Pour celles qui vous semblent légitimes, comment pourrait-on contrôler le respect de la règle et, si nécessaire, sanctionner les infractions ? Qui doit décider si la règle est enfreinte ou non ?

Liberté d’expression et inégalités ?
A la base, la promesse des réseaux sociaux était de donner une voix à tout le monde, de manière équitable. Or, les échanges, sur les réseaux sociaux (via notamment les commentaires laissés sur des publications) deviennent de plus en plus vifs. Ces échanges sont de nature à amplifier la polarisation (l’opposition) de points de vue de plus en plus radicaux.

Est-ce une bonne chose ? Quels risques cette évolution fait-elle peser sur notre société ? Quelle est la gravité de ces risques ?

Une chose est de pouvoir s’exprimer librement ; une autre est d’être entendu. Est-il normal que, dans une démocratie, la voix de certaines personnes soit davantage entendue que celle des autres ? Est-il normal que l’on entende, sur des questions de société, davantage que celle des autres, la voix des personnalités politiques / des représentants d’associations (syndicats, ONG, etc.) / des personnalités sportives / des stars et vedettes de la chanson ou du cinéma / des scientifiques / des riches ?

On constate également, sur les réseaux sociaux, que les femmes, les personnes immigrées ou issues de l’immigration, les LGBTQIA+… font l’objet de critiques acerbes, voire violentes. Cela mène parfois au (cyber)harcèlement. De nombreuses critiques ne portent pas sur ce que ces personnes expriment, mais sur leur identité.
Comment expliquez-vous cela ? Certaines d’entre elles, lasses ou parfois démolies, quittent ces réseaux sociaux, s’auto-censurent. Le comprenez-vous ? Qui peut et qui doit lutter contre ce phénomène ?

Et la vérité dans tout ça ?
Certain·e·s théoricien·ne·s estiment qu’avec le développement des réseaux sociaux et la création exponentielle de contenus, les faits objectifs ont désormais, dans des lieux de débat (réseaux sociaux, débats politiques) moins d’importance que les opinions développées par des personnes influentes.

Qu’est-ce qui définit ce qui est vrai ? Qui décide de ce qui est vrai ? Si une majorité pense quelque chose, cela en fait-il une vérité ?

Donner son opinion a-t-il la même valeur qu’exposer des faits ? Chacun peut-il croire ce qu’il veut sans que cela soit remis en doute, questionné ?

Est-il possible pour un individu de se forger une opinion quand l’information sur les faits n’est pas exacte ?

L’information, les médias et moi…
Une enquête récente sur les usages médiatiques des jeunes1 montre que les réseaux sociaux est l’une de leurs principales sources d’information. Pour beaucoup d’entre eux, les médias mainstream ne sont pas des sources d’information directe. Ils et elles consultent des articles de ces médias parce qu’ils leur sont recommandés sur les plateformes ou parce qu’ils et elles veulent approfondir une information lue sur les réseaux sociaux.

Qu’est-ce que l’information ? Que doit-on en attendre ? Avec quel média vous informez-vous ? Pourquoi ce média ? Lisez-vous du contenu produit par des journalistes ? Leur faites-vous confiance ? Pourquoi ?

Qu’est ce qui fait la qualité d’une information ? Comment est-il possible de vérifier une information ? Sommes-nous tous armé·es pour le faire ? A qui incombe le fait de vérifier une information ? Pourquoi ? Peut-il arriver que la vérification d’une information soit biaisée, partisane ? La vérification doit-elle se faire en interne ou via des instances externes et indépendantes, comme dans l’audiovisuel (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) ou encore dans le domaine journalistique (Conseil de Déontologie Journalistique) ?

Certains organes de presse sont détenus par des personnes privées – ayant des intérêts économiques et des opinions politiques personnelles. Ces personnes peuvent dès lors présenter l’actualité selon l’angle qui favorise leurs intérêts (politiques, économiques) et opinions. D’autres médias sont créés par les pouvoirs publics. Mais en Europe, les uns comme les autres sont tenus de respecter des lois, notamment en matière de pluralisme et de transparence.

Que vous semble-t-il préférable ? Quelles balises sont-elles nécessaires pour éviter la manipulation, voire la propagande ?

Des réseaux sociaux devenus incontrôlables ?
Les réseaux sociaux sont souvent perçus comme des lieux où tout doit aller vite. Les messages doivent être concis, simples et percutant. La réalité est pourtant souvent complexe, connaît des nuances, des exceptions, ne se laisse pas réduire à des slogans.

Percevez-vous les dispositifs mis en place par ces plateformes qui permettent de favoriser certaines informations/contenus (algorithmes, publicités personnalisées, recommandations, etc.) comme un danger ? Pour quelles raisons ?

Pensez-vous que les réseaux sociaux soient un atout ou un obstacle pour appréhender le monde réel ? Quels impacts pourraient-ils avoir sur nos démocraties ?

Les personnes qui détiennent ces réseaux sociaux sont-elles responsables des contenus qui y sont postés ? Les contenus publiés doivent-ils être régulés ? Par qui : les plateformes, les États, les utilisateur·rices eux-mêmes ? Qu’est-ce que cela augure pour le métier de journaliste ? Est-ce que rester sur un réseau social c’est cautionner ?

Comment faut-il sanctionner ceux qui ne respectent pas les règles ? Est-il normal que l’on ne puisse pas s’expliquer, se défendre quand un réseau social nous punit ?

Les réseaux sociaux sont des outils puissants par lesquels des puissances et personnes étrangères peuvent intervenir dans la vie démocratique d’autres pays. Est-ce un problème ? En quoi ?

En protestation avec les idées développées sur X, une vague de désinscriptions est prévue pour le jour de l’investiture du président Trump, le 20/01. Faut-il quitter des espaces dont on critique la gouvernance ou bien y rester pour être au courant de ce qui s’y dit ?

Bibliographie :

Pour aller plus loin :


black friday

Black Friday : à prendre ou à laisser ?

2 december 2024

Cette fiche est rédigée à l’attention des tou·te·s les enseignant·e·s et éducateur·rice·s de secondaire. Elle propose différentes pistes de réflexion parmi lesquelles choisir afin de mener une discussion de 15 minutes (ou plus si le contexte le permet). Crédit photo : Anna Stills (iStock)

Les faits

Encore inconnu en Europe il y a une quinzaine d’années, le Black Friday (ou « Vendredi noir ») est une opération commerciale importée des États-Unis. Pour l’occasion, les grandes enseignes et petits commerces cassent leurs prix, entre vraies bonnes affaires, fausses promos et hyperconsommation.

Chaque quatrième vendredi du mois de novembre, le Black Friday donne le coup d’envoi, outre-Atlantique, de la période des achats de Noël. De coutume depuis les années 60 environ, son origine est incertaine. Selon les différentes versions qui circulent, ce « Vendredi noir » pourrait faire référence à l’affluence sur les routes après la fête de Thanksgiving, célébrée la veille, aux magasins bondés ou au chiffre d’affaires des commerçant·es, dont les comptes passeraient du rouge (négatif) au noir (bénéfices) lors de cette journée de promotions.

Des milliards dépensés en ligne
Cette année, les Américain·es ont battu un nouveau record, avec 10,8 milliards de dollars dépensés en ligne, soit 10,2 % de plus que l’année dernière. En Belgique, où le phénomène est apparu il y a une dizaine d’années, 63 % des consommateur·rices (soit 11 % de plus que l’an dernier) prévoyaient de faire des achats lors du Black Friday pour un montant moyen de 329 euros (+6 euros), selon un sondage de Testachats.

Dans la pratique, les promos débordent cependant de plus en plus sur la semaine précédente, le week-end et le lundi suivant avec le Cyber Monday, autre journée de rabais visant à booster les ventes en ligne. Mais, parmi l’avalanche de réductions, toutes ne sont pas toujours bonnes à prendre. Certaines sont même trompeuses : depuis 2022, le SPF Économie a ainsi constaté 811 infractions en la matière.

De plus, l’opération ne profite bien souvent qu’aux multinationales et plateformes en ligne, les petits commerces n’ayant pas toujours la capacité de rivaliser avec les ristournes des grands groupes.

Actions de protestation
Autre écueil : le coût écologique. Hyperproduction, explosion des livraisons et des retours, montagne de déchets, etc. Le Black Friday a un impact environnemental désastreux, sans compter la pression mise sur les travailleur·ses.

Face à ce constat, des alternatives comme le Green ou le Blue Friday ont vu le jour. L’idée est d’encourager les consommateur·rices à réparer, opter pour la seconde main ou consommer local et responsable. En Belgique, certaines enseignes sont restées fermées le jour du Black Friday, tandis qu’en Allemagne et dans d’autres pays, des centaines d’employé·es d’Amazon ont protesté contre leurs conditions de travail.

Penser les faits : quelques pistes

Consommation
Le Black Friday propose d’acquérir des biens, pousse à la consommation.

Pourquoi répondons-nous à cette injonction ? Qu’est-ce qui, précisément, nous pousse à acheter ? Ce que nous achetons répond-il à un besoin ? Ou à une envie ? Quelle différence fait-on entre les deux ? Quelle différence entre acheter quelque chose dont nous avons besoin et avoir besoin d’acheter quelque chose ? Est-ce la chose dont nous avons besoin ou l’acte d’acheter ?

Le Black Friday augmente notre pouvoir d’achat, mais augmente-t-il ou restreint-il notre liberté ?

Le besoin d’acheter peut-être plus fort que la raison (c’est-à-dire on achète des choses pas parce qu’on en a vraiment besoin, mais parce qu’on a besoin d’acheter, quoi que ce soit). Quand acheter s’impose à nous comme une fin en soi, dans quelle mesure peut-on parler d’addiction ou de drogue comme c’est le cas, chez certaines personnes, pour le tabac, l’alcool et le jeu, par exemple ?

A-t-on toujours le choix de notre consommation ?
Certains ménages sont dans le besoin et à l’affût des promotions et des bons plans pour acheter des biens du quotidien parfois indispensables. D’autres personnes profitent du Black Friday pour acquérir des biens non-essentiels.

Que vous évoque la coexistence de différents objectifs de consommation, visibles au moment du Black Friday ? Pensez-vous que des ménages sont obligés d’attendre de telles promotions pour acheter ce dont ils ont besoin ? Une société plus égalitaire serait-elle souhaitable ? Comment la mettre en œuvre ?

Achat juste et juste prix
Le Black Friday provoque un pic de consommation.

Chaque article acheté a dû être produit et acheminé. Tout cela a un coût : grande utilisation de pages internet qui font tourner les serveurs et data centers à plein régime, emballages (plastique et carton), transports (notamment en avion). La semaine du Black Friday, c’est 94 % de CO2 émis en plus qu’une semaine normale. Les achats réalisés impulsivement lors du Black Friday génèrent aussi un grand nombre de retours à l’expéditeur. C’est le cas d’environ un quart des colis par les consommateur·rices de moins de 30 ans.

Certaines enseignes ne peuvent vendre des produits (comme des vêtements) à un prix si bas que parce qu’ils sont fabriqués dans des conditions de travail inhumaines.

Le Black Friday a aussi un impact sur les conditions de travail de personnes, ici en Europe, qui travaillent notamment dans la logistique et doivent prester de nombreuses heures supplémentaires pour envoyer, empaqueter et livrer les colis qui sont achetés en ligne.

Il a également un impact sur les petits commerces qui doivent s’aligner sur les promotions faites par les grandes enseignes.

Suis-je responsable de l’impact de mon achat sur :

  • l’environnement ?
  • les conditions de travail des personnes qui produisent là-bas ?
  • les conditions de travail des personnes qui travaillent ici ?
  • la viabilité économique des petits commerces ?

Quelle différence cela fait-il si moi, à mon niveau, j’achète ou je m’abstiens d’acheter quelque chose ? Suis-je attentif·ve à ce qu’un article que j’achète soit vendu à un prix juste ? Qu’est-ce que je mets derrière cette notion ?

On dit habituellement d’un prix qu’il est valable à la condition qu’acheteur·se et vendeur·se soient l’un·e et l’autre d’accord de procéder à la transaction. Qu’en pensez-vous ? La liberté d’acheter et celle de vendre sont-elles réelles ? Cette liberté doit-elle prévaloir sur le reste ? Quelle place l’éthique prend-elle dans vos choix de consommation ?

Black Friday, publicités et médias
Les publicités lors du Black Friday nous envahissent.

Sur quels supports avez-vous entendu parler du Black Friday ? Comment avez-vous réagi face à ces publicités ? Avez-vous acheté des produits suite à des publicités liées au Black Friday ?

Quels sont les types de messages, le vocabulaire, les couleurs et les illustrations utilisées ? Pourquoi, selon vous ? Cela vous a-t-il donné envie d’acheter ?

Quel impact a la publicité sur la consommation des gens ? Vous êtes-vous senti·e visé·e par la publicité que vous avez reçue ? Si oui, par quel procédé (vocabulaire, illustration) ?

Le Black Friday et l’info
Observez comment les médias d’information (presse papier, presse numérique, journal TV, radio, etc.) traitent le sujet du Black Friday et abordent cette abondance publicitaire.

Est-il pertinent que le journal télévisé ou radio s’ouvre sur un sujet lié au Black Friday ? N’est-il pas contradictoire qu’un article qui traite de la surconsommation liée au Black Friday se trouve sur la même page que des publicités liées à ce même Black Friday ? Trouvez-vous ce traitement objectif ? Quelles influences ce traitement médiatique a-t-il sur la consommation ?

Consommer autrement ?
Des personnes choisissent de prendre leur temps pour s’assurer qu’un achat est bien réfléchi, qu’il n’est pas seulement impulsif. Il en est aussi qui décident de ne pas acheter ou d’acheter moins. Qu’en pensez-vous ?

Que pensez-vous des initiatives alternatives au Black Friday ? Pensez-vous que vous pourriez modifier votre manière de consommer ? Comment vous y prendriez-vous ? Quelles pistes identifiez-vous ?

Bibliographie :

Pour aller plus loin :


Les élections du 9 juin : et après ?

13 juni 2024

Note
Ce document est rédigé à l’attention de tou·tes les enseignant·es et éducateur·rices de secondaire. Il propose différentes pistes de réflexion parmi lesquelles choisir afin de mener une discussion de 15 minutes (ou plus si le contexte le permet).

Une fiche Questions Vives ne contient pas de position de nature politique et elle n’engage pas les partenaires à titre individuel.

Les faits

L’issue du triple scrutin du 9 juin est connue. Verdict ? Une nette tendance à droite, même si les résultats sont contrastés. L’abstention bat également un nouveau record : plus d’un million d’électeurs (12,5 %) ont boudé les bureaux de vote.

En Belgique francophone, le MR sort grand gagnant des urnes. Le parti libéral se hisse à la première place en Wallonie (29,6 % des voix) et à Bruxelles (21,5 %). Arrivé 2e, le PS perd quelques plumes, avec 23,2 % des voix au sud du pays et 18,3 % dans la capitale. De retour après cinq ans d’opposition, Les Engagés progressent partout : ils se classent 3e en Wallonie (20,7 %) et 4e à Bruxelles (8,9 %), derrière le PTB qui récolte 17,3 % des suffrages dans la capitale. Au sud du pays, il décroche la 4e place (12,1 %). Reste Ecolo, grand perdant des élections, qui recule partout, avec 7 % en Wallonie et 8,2 % à Bruxelles.

A la suite de ces résultats, le MR et Les Engagés ont décidé de s’allier à tous les niveaux de pouvoir. En Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles, on se dirige dès lors vers une coalition de centre-droite. Le PS, lui, a fait le choix de l’opposition.

Le Vlaams Belang, deuxième parti de Flandre
Alors que les sondages prédisaient une percée du Vlaams Belang, la N-VA reste maître du jeu (23,9 %) au parlement flamand.

En progression, le Vlaams Belang (22,7 %) représente la deuxième force politique de Flandre, devant les socialistes de Vooruit (13,8 %), les sociaux-démocrates du CD&V (13 %), les libéraux de l’Open Vld(8,3 %), ainsi que les partisans du PVda (8,3 %) et de Groen (7,3 %). Le parti libéral du Premier ministre sortant, Alexander De Croo, subit la plus lourde défaite.

N-VA et MR en pole position au fédéral
Avec des résultats similaires au niveau fédéral, la N-VA et le MR devraient jouer un rôle prépondérant dans la prochaine coalition. Qui seront leurs alliés ? La question n’est pas encore tranchée à ce jour. Mais une chose est sûre : la participation du Vlaams Belang reste actuellement exclue (malgré ses 20 sièges à la Chambre) en raison du cordon sanitaire.

Montée importante des extrêmes et déroute écologiste en Europe
En Europe, le Parti populaire européen (PPE) et l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) se maintiennent, rendant possible la reconduction de la coalition sortante avec les libéraux de Renew, même affaiblis. Cependant, plusieurs formations d’extrême droite ont réalisé une percée notamment en Allemagne, en France, aux Pays-Bas et en Autriche, provoquant au passage la dissolution de l’Assemblée nationale française. Les écologistes enregistrent un net recul.

Florence Marot

Penser les faits : quelques pistes

Faire son choix
Les électeurs et électrices ont fait leur choix. Si vous avez voté, par quels moyens/médias (parents, amis, journaux, TV, radio, réseaux sociaux) avez-vous recueilli l’information pour faire votre choix ? (Lecture de médias, visionnage d’émissions, discussion avec les parents et ami·es). Quels avantages et inconvénients avez-vous vus à ces moyens de vous informer ? Quels sont les moyens qui ont été déterminants ?

Vous êtes-vous basé·es sur des valeurs pour faire votre choix ? Si oui, laquelle ou lesquelles ? (Projet collectif, individuel, solidaire, inclusif, basé sur la prospérité, le mérite, etc.) Quels éléments (valeurs, contenu du programme, personnalité des candidat·es, etc.) avez-vous mobilisé pour faire votre choix ? Pourquoi ? Avez-vous trouvé dans les partis votre projet de société idéal ?

De la politique de diverstissement – Politainment
Durant la campagne électorale, de nombreuses émissions TV et contenus sur les plateformes des réseaux sociaux ont mis en scène des hommes et femmes politiques. Du simple débat dans un cube de verre devant le Parlement wallon, à l’interview d’un président de parti dans une montagne russe, en passant par la discussion avec des hommes et femmes politiques en pyjama, différents médias ont proposé des contenus divers et variés à la frontière de l’information et du divertissement (« infotainment » ou « politainment »).

Avez-vous regardé un ou plusieurs de ces programmes/contenus ? Vous ont-ils permis de mieux comprendre les enjeux de la politique ? En quoi cela vous a-t-il influencé ?
Pensez-vous que le fait de voir des personnalités politiques s’amuser et être des citoyen·nes comme tout le monde leur apporte un capital sympathie qui leur permet de gagner plus de voix des électeur·trices ?

Certains partis mettent dans leur liste des personnalités populaires. Qu’en pensez-vous ? Pensez-vous qu’il s’agit là d’une manière, pour les partis de faire des voix ? Vaut-il mieux que nos élu·es soient des « professionnel·les de la politique » ou des personnes sans expérience politique, mais plus représentatives de la diversité de la population ? Qu’est-ce qui a le plus d’importance dans votre choix : les valeurs générales défendues par un parti, son programme ou la personnalité de ses candidat·es ?

Agressivité
Certaines personnalités politiques se montrent très critiques à l’égard de leurs concurrent·es. Elles peuvent formuler des critiques très féroces à l’encontre des idées des autres et, parfois, faire preuve d’une certaine agressivité à l’égard des autres hommes et femmes politiques. On a vu des débats entre interlocuteur·trices qui ne cessaient de s’interrompre et de s’invectiver.

Pensez-vous que l’agressivité soit inhérente à ce type d’exercice ? Qu’elle y apporte un plus ? Ou un moins ? Pensez-vous qu’on peut «faire carrière» en politique si on veut s’accrocher à une posture respectueuse, pacifiée ? L’opposition de différentes idées doit-elle forcément passer par la violence ?

« Je m’en fous »
Si on ajoute à l’abstention les votes blancs et les votes en faveur du parti blanco, on atteint 18,6 % de personnes qui n’ont pas soutenu un parti ou un ou plusieurs candidat·es.

Que pensez-vous du fait que le vote soit obligatoire en Belgique ? Pourquoi dire qu’on se désintéresse de la vie politique attire-t-il habituellement des critiques/est mal vu par la collectivité ? Pourquoi n’aurait-on pas le droit de vivre sans se soucier de ces questions ? Pensez-vous qu’un·e ministre, par exemple, est plus légitime si une part importante de la population a pris part au vote ?

La majorité définit-elle ce qui est juste ?
Au cours des élections s’affrontent – au travers de partis – des conceptions différentes de ce qui est souhaitable, de ce qui est juste. Tel parti estime qu’il faut privilégier le bien-être de la population actuelle ; tel autre qu’il faut prioritairement veiller aux conditions de vie des générations futures. Tel parti estime qu’il n’est pas juste que les personnes inactives aient des conditions de vie proches de celles qui se fatiguent au travail ; tel autre qu’il faut se montrer solidaire avec les personnes qui rencontrent des difficultés dans la vie.

Qu’est-ce que la justice (au sens de ce qui est juste) ? Pourquoi ne sommes-nous pas forcément d’accord sur ce qui est juste ? Peut-on dire que ce qui est juste est ce que la majorité trouve juste ? Se trompe-t-on si on n’a pas la même représentation de ce qui est juste que la majorité de la population ?

Démocratie et État de droit
L’état de droit est un principe fondamental selon lequel toutes les institutions et individu·es, y compris le gouvernement, sont soumis aux lois établies et doivent les respecter. Personne n’est au-dessus de la loi et les décisions et actions des autorités doivent garantir la protection des droits fondamentaux des citoyen·nes.
La sagesse du peuple n’est pas toujours suffisante. Les élections démocratiques ne mettent pas une société à l’abri de décisions choquantes, inacceptables. L’exemple le plus habituel consiste à rappeler qu’Hitler est arrivé au pouvoir par la voie des urnes et que cela n’a pas empêché les pires exactions.

D’un côté, les élu·es disent : « Je suis élu·e, je représente le peuple et rien n’est plus important que la volonté du peuple. Donc je peux décider ce que je veux. » De l’autre côté on lui répond : « Non. Même le peuple ne peut pas enfreindre les droits fondamentaux des personnes qui s’imposent à tous les gouvernements. Vous pouvez gouverner, mais en respectant ce cadre. » Qu’en pensez-vous ?
« Le pouvoir politique a-t-il tous les droits ou doit-il se soumettre à certaines règles ? » « Que penser de gouvernements qui ne respecteraient ni la loi ni les décisions de justice qui les condamnent ? »

Normalisation de l’extrême droite
Il y a eu, dans l’Histoire, des périodes sombres au cours desquelles on associait aux gens (les femmes, les personnes racisées, les juifs, etc.) des caractéristiques prétendument liées aux catégories auxquelles ils et elles appartenaient. Cela a eu pour effet des discriminations dont certain·es étaient victimes (comme dans le cas de l’esclavage ou dans celui de la Shoah) et dont d’autres ont tiré profit.
La violence des exactions commises pendant la Seconde Guerre mondiale, quand des idées d’extrême droite ont été poussées à leur paroxysme, a eu pour effet un rejet massif de ces idées simplistes et dangereuses. Le cordon sanitaire est un exemple de cette réaction, du besoin de se protéger contre ces idées jugées toxiques en raison de la violence liée à leurs conséquences concrètes.

L’extrême droite se caractérise par (i) une conception profondément inégalitaire de la société qui accorde une importance majeure aux différences qu’ils voient entre les races, les ethnies, les sexes, les religions, les orientations sexuelles et identités de genre, etc. ; (ii) une vision nationaliste qui soit réclame l’indépendance, soit appelle à plus d’homogénéité sur le territoire ; et (iii) remet radicalement en cause des éléments fondamentaux de nos démocraties tels que l’état de droit, l’équilibre des pouvoirs, les droits des minorités, etc.). (1)

En étant reprises par certains partis « traditionnels », pensez-vous que les idées d’extrême droite ont percolé dans la société, et apparaissent aujourd’hui comme « normales », par exemple en matière de politique migratoire, en matière de justice, en matière sécuritaire, sur les questions identitaires et sur les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+ ?
Comment expliquer que des idées qui étaient inacceptables hier semblent plus acceptables aujourd’hui ?
Pensez-vous que, au nom de la liberté d’expression, toutes les idées se valent et doivent pouvoir être exprimées librement, même celles qui sont basées sur des contre-vérités et/ou sèment la haine entre les personnes ?
Pensez-vous que les réseaux sociaux jouent un rôle dans la normalisation des idées extrêmes ? Sont-ils un lieu privilégié pour le développement de ce type d’idées ?

(1) Selon Benjamin Biard, du CRISP et professeur invité à l’UCL. https://www.centreavec.be/publication/ce-dont-lextreme-droite-est-le-nom/

En dehors des élections
En démocratie, le pouvoir des citoyen·nes ne s’arrête pas au seul moment des élections. Ils et elles conservent le droit de faire entendre leur voix, par exemple en s’adressant directement à leurs parlementaires pour leur faire connaître leur opinion (interpellations politiques), en soutenant des organisations dites « de la société civile » via du volontariat dans des associations, en signant des pétitions en participant à des manifestations ou à des actions de désobéissance civile, ou encore via des changements de comportements individuels, etc.

Que pensez-vous de ces modes d’action ? Dans quelle mesure est-ce important pour vous ou non de vous investir dans ce type de démarche ? Voyez-vous le fait d’aller voter comme un engagement citoyen ?

Pour en savoir plus :

Sources :

Crédit photo : RTBF


Conflit Israël - Territoires palestinies occupés

Conflit Israël - Territoires palestiniens occupés

3 november 2023

AVERTISSEMENT
Le sujet abordé est sensible et nécessite une grande prudence. Nous ne pouvons être tenus responsables des difficultés qui pourraient en résulter. Ces fiches sont un appui pédagogique destiné à développer la réflexion critique et autonome des élèves. Des références à des idées très différentes peuvent être communiquées afin de susciter cet esprit critique. Cette fiche n’est en aucun cas une prise de position dans le conflit de la part des organisations qui y ont travaillé et de ce qu’elles représentent. Elle vise à permettre un dialogue et réflexion critique à propos de concepts mobilisés dans cette actualité, et non à propos du conflit en lui-même. Le sujet est sensible et peut entraîner des réactions vives des élèves. Il importe, avant de commencer la discussion, de rappeler les règles d’un débat serein : demander la parole, ne pas parler trop longtemps, ne pas interrompre, ne pas insulter, etc. Si les conditions d’un débat serein ne sont plus respectées, y mettre un terme et, si possible, lancer un débat « méta » sur la question « pourquoiest-on emporté par ses émotions, au point qu’il n’est plus possible de discuter sereinement ?

Les faits

Plutôt que de relater des faits qui seront remplacés par de nouveaux développements le lendemain, et étant donné que les développements sont abondamment couverts par les médias, nous souhaitons référer aux sources médiatiques, comme par exemple :

https://www.rtbf.be/archive/guerre-au-proche-orient
https://www.lesoir.be/81616/sections/proche-et-moyen-orient
https://www.lalibre.be/dossier/international/moyen-orient/attaques-du-hamas-israel-palestine-en-guerre/

Penser les faits : quelques pistes

Le poids de mots
S’agit-il de crimes de guerre ? Si on estime qu’existe un conflit armé entre l’état d’Israël et le groupe terroriste Hamas, il s’agit en effet d’infractions graves – parmi les plus graves qui soient – au droit de la guerre. On peut dans ce cas parler de crimes de guerre. S’agit-il de terrorisme ? Il n’y a pas encore un consensus sur une définition dans le droit international, mais des définitions ont été proposées par les Nations Unies et l’Union européenne, comme par exemple : « des actes criminels, y compris contre des civils, commis dans l’intention de causer la mort ou des blessures corporelles graves, ou la prise d’otages, dans le but de provoquer un état de terreur dans l’opinion publique en général ou dans un groupe de personnes ou de personnes particulières, d’intimider une population ou contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte. »[1], ou encore « Les actes de terrorisme ont pour but, par leur nature ou leur contexte, d’intimider gravement une population ou de contraindre indûment un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte ou à déstabiliser ou détruire gravement les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales de ce pays. Un pays ou une organisation internationale. » [2] Le Hamas, officiellement reconnu comme un groupe terroriste par l’Union européenne depuis 2001, a attaqué la population civile israélienne, tué des personnes, emporté des otages. Comment peut-on qualifier ces faits ? Pensez-vous qu’il existe des circonstances où le recours à des actes de violence est moralement acceptable ?

[1] Conseil de sécurité des Nations Unies, dans sa résolution 1566 d’octobre 2004
[2] Mai 2005, adoption de la Convention pour la prévention du terrorisme par le Conseil de l’Europe

Droit de riposter ?
La guerre met un État dans une situation particulièrement critique. Acculé par des circonstances défavorables, il pourrait être tenté, à un moment ou un autre, de perdre la raison et de commettre des actions meurtrières. C’est la raison pour laquelle existe le droit international humanitaire et le « droit de la guerre ». Il définit ce que les forces armées peuvent faire et ce qu’elles ne peuvent pas faire lors d’un conflit armé. Ces règles visent notamment à protéger les populations civiles dont on a toujours estimé qu’elles n’étaient pas concernées ou devaient ne pas l’être par les batailles entre militaires. Ces règles (ne pas maltraiter les prisonnier·es, ne pas attaquer les populations civiles, ne pas prendre d’otages, etc.) sont les mêmes pour les deux camps. Estimez-vous que ce soit une bonne chose ou que la partie armée agressée devrait pouvoir, elle, en tant que « victime » avoir recours à tous les moyens possibles pour se défendre, en ce compris attaquer les civil·es de la partie adverse ? Le fait qu’une partie d’un conflit ne respecte pas le droit international humanitaire ou le droit de la guerre n’autorise pas l’autre à l’enfreindre également. Estimez-vous que cela devrait être le cas ? Une règle ne devrait-elle être respectée que si tout le monde la respecte ? Doit-on observer un principe parce que tout le monde le respecte ou parce qu’on pense qu’il est juste ? Que faire quand un conflit dure depuis très longtemps ? Cette distinction entre agresseur et agressé tient-elle toujours ou les deux parties finissent-elles par être, selon des modalités différentes, à la fois agresseurs et agressés ?

Représailles
Les mesures de représailles sont des réponses à des actions passées, tandis que les mesures de défense sont des actions prises pour se protéger contre des menaces actuelles ou imminentes. Une même mesure peut être à la fois l’une et l’autre, quand les représailles ont une visée dissuasive. Par mesure de représailles contre les attaques terroristes dont il a été l’objet, Israël a imposé des sanctions contre les habitant·es de la bande de Gaza : plus d’approvisionnement ni en eau, ni en médicaments, ni en électricité, ni en nourriture. Cette sanction touche durement la population civile. Pensez-vous qu’il soit acceptable de punir toute une population pour toucher les auteurs d’actes terroristes, si abominables ces actes aient-ils été ? L’Histoire compte plusieurs épisodes pendant lesquels une armée a menacé d’exterminer une population si les coupables qui s’y cachaient ne se rendaient pas, à une moindre échelle, les profs qui, dans le passé, menaçaient toute une classe de punition collective si le coupable ne se désignait pas, usaient du même principe. Quel jugement moral portez-vous sur cette pratique ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Que penser, de l’autre côté, des auteur·es de ces actes terroristes qui se cachent au milieu de la population civile plutôt que de se dénoncer ? Pensez-vous qu’ils et elles manquent de courage et/ou d’honnêteté ? Que feriez-vous à leur place ? Et que penser des chef·fes qui donnent leurs ordres depuis des pays étrangers ?

Valeur d’une vie
La vie humaine a une valeur infinie pour les religions (et notamment dans les religions juive, musulmane et chrétienne représentées dans le conflit israélo-palestinien) et dans l’esprit de la plupart des personnes agnostiques ou athées. En dehors de quelques circonstances telles que les militaires pendant une guerre, tuer est un interdit universel. Pourtant, ici, le Hamas a massacré des Israélien·nes et les autorités israéliennes ont décidé de frappes dont elles savaient qu’elles tueraient des Palestinien·nes. Pensez-vous que la vie humaine doit être absolument (c’est-à-dire de façon absolue, sans exception) préservée ou pensez-vous qu’il existe des circonstances où tuer des gens est acceptable ? On parle beaucoup « des Israélien·nes » et « des Palestinien·nes » comme s’il s’agissait chaque fois d’un ensemble homogène. Comment éviter le piège de la généralisation ?

L’importance des images
Le droit de la guerre interdit de publier des photos de prisonnier·ères de guerre. Le Hamas a veillé à filmer ses opérations sanguinaires et à en diffuser les images. Pourquoi pensez-vous qu’il a adopté cette stratégie de communication ? Comment nous sentons-nous en voyant ces images ? Pourquoi les regardons-nous quand même si elles nous choquent ? Pareillement, nous sommes particulièrement scandalisé·es par les images d’enlèvement, avec violence, d’enfants, de jeunes femmes et de personnes très âgées. Les terroristes en sont conscient·es et en jouent pour intensifier leur provocation. Comment expliquez-vous cette sensibilité et cette insensibilité (celle des terroristes du Hamas) ?

Détenir la terre
Le conflit israélo-palestinien, c’est l’histoire de deux peuples qui revendiquent la propriété et le contrôle d’un même espace, d’une même terre. La terre est-elle un bien comme un autre ? Qu’est-ce que le fait d’être propriétaire d’un terrain a de plus que le fait d’être propriétaire d’une voiture ou d’une entreprise ? En quoi le fait d’avoir une terre à soi est-il important pour un peuple ?

Violence et souffrance
Un certain nombre de voix expriment que la violence des agressions du Hamas est certes démesurée et inacceptable, mais qu’elle doit être mise en rapport avec la violence de la façon dont sont traité·es les habitant·es de la bande de Gaza, sous blocus israélien depuis 2007. Peut-on comparer ces violences de natures différentes ? Qu’en est-il de la souffrance ? La violence est un acte externe, intentionnel et direct, tandis que la souffrance peut être causée par des événements externes (comme la violence), mais elle peut aussi être le résultat de facteurs internes ou de circonstances de la vie comme des conditions de vie pénibles. Certain·es pensent que ce n’est pas seulement la violence qu’il faut combattre, mais tout ce qui, d’origine humaine, crée de la souffrance. Qu’en pensez-vous ?

Neutralité
Les auteur·es de cette fiche ont veillé à ne pas poser une question centrale, aussi visible qu’un éléphant dans un couloir : à quel camp donner raison ? Plusieurs explications conjuguent leurs effets : la crainte de s’attirer les foudres – parfois extrêmement violents – des adeptes de tel ou tel camp ; la nécessité de respecter les règles relatives à la neutralité des espaces scolaires et la volonté d’offrir des espaces de réflexion sereins sur des éléments connexes à ce conflit. Quelle est l’importance de la neutralité ? Pensez-vous qu’il soit possible d’être neutre ? Comment peut-on ou de s’efforcer de l’être ? Pourquoi pensez-vous que ce sujet soit si sensible dans la société ? Pourquoi semble-t-il souvent difficile de l’évoquer dans une discussion modérée, sans que le moindre propos, qu’on pense nuancer, nous range dans un camp ou dans l’autre ?

Pour aller plus loin : sept raisons pour une nation de souhaiter disposer d’un territoire à soi

    1. Identité culturelle et historique – Le territoire peut être intrinsèquement lié à l’histoire et à la culture d’un peuple. Il peut contenir des sites sacrés, des lieux de mémoire, des traditions et des coutumes spécifiques qui sont essentiels pour l’identité ethnique.
    2. Sécurité et stabilité – La possession d’un territoire peut offrir une certaine sécurité physique et économique. Un territoire stable peut permettre aux communautés de planifier l’utilisation des ressources naturelles, de développer l’agriculture et des infrastructures.
    3. Autonomie politique – Posséder un territoire permet souvent à un groupe ethnique d’avoir son propre gouvernement, d’adopter ses propres lois et politiques, préservant ainsi son identité culturelle.
    4. Économie et ressources naturelles – Les ressources naturelles présentes sur un territoire (comme l’eau, les minéraux, les terres agricoles) peuvent être essentielles à la subsistance et au bien-être économique d’un groupe ethnique.
    5. Protection de la culture et de la langue – Un territoire peut offrir un environnement où la langue, la culture et les traditions d’un groupe ethnique peuvent être préservées et transmises aux générations futures sans l’influence externe excessive.
    6. Sens d’appartenance – Le territoire peut renforcer le sentiment d’appartenance à un groupe. Il peut créer un lien physique entre les membres de la communauté, renforçant ainsi les relations sociales et le soutien mutuel.
    7. Résistance à l’assimilation – La possession d’un territoire peut aider à préserver une communauté ethnique en la protégeant contre l’assimilation culturelle et linguistique imposée par des groupes dominants.

Crédit photo : rrodrickbeiler (iStock)


ChatGPT : Pour le pire ou pour le meilleur ?

ChatGPT : Pour le pire ou pour le meilleur ?

29 maart 2023

Cette fiche est rédigée à l’attention des tou·tes les enseignant·es et éducateur·rices de secondaire. Elle propose différentes pistes de réflexion parmi lesquelles choisir afin de mener une discussion de 15 minutes (ou plus si le contexte le permet).

Les faits

ChatGPT (pour Generative Pretrained Transformer, soit Transformateur générique pré-entrainé) est une interface de conversation en ligne basée sur l’intelligence artificielle (IA). Depuis novembre 2022, ChatGPT est accessible gratuitement sur Internet. Son succès a été immédiat : 5 jours après son lancement, ChatGPT avait déjà été téléchargé 1 million de fois. En janvier 2023, le cap des 100 millions d’utilisateur·rices a été dépassé. Jamais une application – pas même Tik Tok ou Instagram – n’avait connu un démarrage aussi fulgurant.

Avant de nous plonger dans le fonctionnement et les usages de ChatGPT, rappelons d’abord ce qu’est l’intelligence artificielle (IA). C’est un ensemble de théories et de techniques mises en œuvre pour concevoir des machines capables de stimuler certains traits de l’intelligence humaine. ChatGPT est donc un système informatique, qui a été longuement entraîné, et qui calcule : il a appris à mettre les mots dans le bon ordre. Aujourd’hui, ChatGPT est capable de tenir des conversations sensées avec un utilisateur : c’est ce que l’on appelle un chatbot. Il peut aussi répondre à des questions ou écrire des textes sur un sujet donné. Il peut faire des suggestions ou créer du contenu. Il est aussi capable d’écrire des lignes de code pour une page web.

ChatGPT a été conçu par la société américaine OpenAI dont le but était, dès sa création en 2015, de « bâtir une intelligence artificielle équivalente à un être humain ». Cette société a d’ailleurs lancé, en juillet 2022, Dall.E, une IA capable de générer des images sur la base d’une description de l’utilisateur. Le fondateur et actuel président d’OpenAI est l’homme d’affaires Sam Altman qui, dans le passé, avait notamment poussé et développé des sociétés comme Airbnb, Twitch ou Dropbox. L’entrepreneur et milliardaire Elon Musk (directeur de la société astronautique SpaceX et de la société automobile Tesla) était un des cofondateurs de la société OpenAI, mais il l’a quittée depuis : il n’a donc pas assisté au développement et au lancement de ChatGPT.

Les utilisateur·rices de ChatGPT ont, d’une manière générale, été impressionné·es par la qualité de ses productions. D’où ces questions et ces craintes qui ont surgi, notamment dans le monde de l’enseignement. Comment distinguer une production d’un humain de celle d’une machine ? Cette dernière poussera-t-elle les élèves à la triche ou à la fainéantise ? Depuis janvier 2023, ChatGPT est d’ailleurs interdite dans les écoles de New-York : son accès est bloqué sur les ordinateurs des établissements scolaires.

Jusqu’où faut-il craindre l’utilisation de ChatGPT ? Pour répondre à cette question, il faut avoir à l’esprit que cette AI commet des erreurs, notamment parce que les données auxquelles elle a été soumise pour s’entraîner datent, au mieux, de 2021. Rappelons aussi que ChatGPT ne fait que traiter des informations et les calculer : il ne « comprend » donc pas les textes qui sont générés. Il n’est pas non plus capable de faire preuve d’imagination et de créativité, et ne peut pas résoudre un problème. ChatGPT n’est pas non plus, comme les êtres humains, doué d’un esprit critique pouvant poser un jugement sur la base de faits.

Anouck Thibaut

Penser les faits : quelques pistes

Nouveau rapport au savoir ?
Le progrès technique permet de disposer de plus en plus rapidement d’informations dans un certain nombre de domaines. ChatGPT illustre parfaitement ce gain de temps. Le Soir[1] a consacré un article à Sam Altman, patron d’Open AI, l’entreprise qui a lancé ChatGPT en 2012 : « Il y a certains avantages à être une machine. Nous, les humains, sommes limités par notre taux d’inputs et outputs. Nous n’apprenons que deux bits par seconde. Pour une machine, nous devons ressembler à des chants de baleine au ralenti. »

Est-il encore nécessaire d’étudier par cœur la liste des provinces belges et des capitales européennes alors que l’information est accessible en un clic ? Le fait que, depuis quelques années, le meilleur ordinateur batte le meilleur être humain au jeu d’échecs enlève-t-il quelque chose à l’intérêt de ce jeu ? Est-il nécessaire, pour être pleinement humain, de connaître des informations sans avoir à s’en remettre à la technologie ?

Selon vous, qu’est-ce qui fait la spécificité des êtres humains ? Faut-il préserver l’Humanité du risque d’une « prise de pouvoir » par cette intelligence artificielle plus performante ? Pour quelles raisons ?

[1] Philippe LALOUX, Sam Altman, le cerveau, tordu, de l’intelligence artificielle, Le Soir – Week-end des samedi 21 et dimanche 22 janvier 2023, pp 4 et 5.

Du gratuit qui rapporte
Si, dans un premier temps, les concepteurs de ChatGPT expliquaient vouloir « faire progresser l’intelligence numérique de la manière la plus susceptible de profiter à l’humanité dans son ensemble, sans être limité par la nécessité de générer un rendement financier ».[1] Quelques années plus tard, ce positionnement a changé : OpenAI est désormais une entreprise à but lucratif plafonné.[2] La « connaissance » est-elle une denrée monnayable ?

Pour répondre à une question, ChatGPT consulte tout le net. A priori, la variété de sources d’information est donc conséquente. Est-ce pour autant un gage de fiabilité ?

Ce libre arbitre était-il davantage garanti dans la vie quotidienne pré-ChatGPT ? Ne sommes-nous pas déjà influencé·es par les personnes que nous rencontrons, les informations qui nous entourent, les influenceur·ses sur les réseaux sociaux ?

[1] Hugo Jay, « Qui se cache derrière ChatGPT ? » Le Soir – GEEKO, 15 Janvier 2023 – URL : https://geeko.lesoir.be/2023/01/15/qui-se-cache-derriere-chatgpt/
[2] Idem

Responsabilité du ChatGPT
ChatGPT dit de lui-même : « Les modèles de traitement automatique du langage (…) peuvent faire des erreurs ou des imprécisions dans leurs réponses, il est important de définir les responsabilités en cas d’erreur pour minimiser les risques pour les utilisateurs ».

Quelle différence existe-t-il entre des affirmations positives (vérifiables telles que 2 + 2 = 4, Rome est la capitale de l’Italie) et des affirmations normatives (qui portent en elles des jugements de valeur implicites ou explicites, telles que « il faut abolir la peine de mort ») ? Peut-on pareillement confier à l’intelligence artificielle de répondre aux questions « positives » et aux questions « normatives » ?

Travail menacé
L’OCDE estime que l’intelligence artificielle en général (pas seulement ChatGPT) menacerait plus de 40 % des emplois avant 2040. Sam Altman, le fondateur de ChatGPT, rêve d’un monde où les êtres humains ne devraient plus travailler, des machines « intelligentes » s’en chargeant à leur place. Les êtres humains bénéficieraient d’un revenu de base universel et de tout le temps libre souhaité pour s’accomplir.

Cette vision présente le travail comme désagréable, à éviter. Qu’en pensez-vous ? Le travail ne peut-il pas contribuer à l’accomplissement personnel des gens ? Sous quelles conditions ? La machine n’impose-t-elle pas son rythme au travailleur ou à la travailleuse ? La machine amène-t-elle un réel confort de travail et de vie ?

Des gardes-fous… à quels prix ?
ChatGPT annonce que des garde-fous ont été mis en place pour éviter que les internautes soient exposé·es à des contenus à caractère sexiste, raciste, xénophobe etc.

Une enquête publiée en janvier 2023 par le Time[1] révèle que des travailleur·euses kenyan·es ont été engagé·es pour un salaire dérisoire à visionner des images violentes afin d’entraîner le logiciel à reconnaître les propos toxiques. D’après certains témoignages de travailleur·euses, assister au visionnage de ces images était un véritable supplice. Protéger les un·es, justifie-t-il que l’élaboration de ces garde-fous porte gravement atteinte à la santé mentale d’autres personnes ? Porter atteinte à l’intégrité mentale de quelques un·es pour le bien-être d’un grand nombre est-il acceptable ? N’existe-t-il pas là un parallèle avec ce qui se passe assez souvent dans le secteur de la production de smartphones et de vêtements, en lien avec la violation des droits des travailleur·euses ?

L’exclusion de contenus toxiques n’est-elle pas aussi une forme de censure qui pourrait s’appliquer à d’autres paramètres ou dans d’autres circonstances moins louables ? Quels types d’informations seront priorisés ? De qui émaneront-elles, qui va les sélectionner ? Risque-t-on de renforcer une pensée unique ? N’y-a-t-il pas là une possibilité de contrôle massif des masses ?

[1] ChatGPT : des travailleurs kényans payés 2 $ de l’heure pour rendre le robot plus sûr, selon une enquête du Time – rtbf.be

Impact écologique
Comme pour le streaming, l’usage de ChatGPT repose sur des quantités massives de calculs algorithmiques générant eux-mêmes des grandes quantités de dioxyde de carbone. Des étudiants danois ont créé un programme permettant de quantifier cet impact écologique : le programme « Carbontracker ».[1] D’après eux, « une seule session d’entraînement pour ce modèle génère l’équivalent d’une année de consommation énergétique de 126 foyers danois et émet la même quantité de CO2 qu’un trajet de 700 000 kilomètres effectué par un véhicule à essence. Dans quelques années, il y aura probablement plusieurs modèles qui seront beaucoup plus grands (…) ». Est-il souhaitable de laisser se développer la technologie sans régulation ? A-t-on une responsabilité de positionnement par rapport à nos descendant·es ?

[1] https://www.ladepeche.fr/2020/11/05/avez-vous-une-idee-de-lempreinte-carbone-qui-se-cache-derriere-un-algorithme-de-deep-learning-9184196.php

Mythe de Prométhée
Prométhée a volé le feu des dieux pour le donner aux humains, leur permettant ainsi de développer la civilisation, l’art, la science et la technologie. Ce faisant, il a défié les dieux et a été puni de manière sévère. Le mythe soulève donc des questions sur la place de l’homme dans l’ordre du cosmos, la nature de la connaissance ainsi que les conséquences de l’ambition et de la désobéissance à l’ordre naturel. Le développement de la technologie est-il une bonne chose ou l’humanité risque-t-elle de se « dénaturer ». Les nouvelles technologies, (l’intelligence artificielle, transhumanisme, etc.) présentent-elle le risque que les êtres humains « se prennent pour des dieux », s’émancipent des lois de la nature ? Et serait-ce une mauvaise chose ?

Pour en savoir plus :

Intelligence artificielle : discussion avec ChatGPT, le nouveau robot d’OpenAI, à découvrir sur le site de la RTBF :
https://www.rtbf.be/article/intelligence-artificielle-discussion-avec-chatgpt-le-nouveau-robot-d-openai-11117723

ChatGPT, une nouvelle révolution numérique, un podcast de l’émission Zoom Zoom Zen, à écouter ici :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/zoom-zoom-zen/zoom-zoom-zen-du-vendredi-03-fevrier-2023-7761098

Google et Microsoft menacés par le robot conversationnel ChatGPT ?
https://www.rtbf.be/article/google-et-microsoft-menaces-par-le-robot-conversationnel-chatgpt-ils-affirment-quils-seront-bientot-les-leaders-mondiaux-de-lintelligence-artificielle-11149357

ChatGPT : L’intelligence artificielle du futur? – Une vidéo d’RTBF Info :
https://www.youtube.com/watch?v=Oil23VSzz70

ChatGPT et enseignement : faut-il vraiment se sentir démunis, voire menacés par cette intelligence artificielle ?
https://www.rtbf.be/article/chatgpt-et-enseignement-faut-il-vraiment-se-sentir-demunis-voire-menaces-par-cette-intelligence-artificielle-11134463

Avec ChatGPT, est-il encore utile d’étudier et d’apprendre à rédiger ? Un podcast « Déclic-Tournant » à écouter ici :
https://www.rtbf.be/article/avec-chatgpt-est-il-encore-utile-detudier-et-dapprendre-a-rediger-11168149

Crédit photo : Dilok Klaisataporn sur iStock.


L'incarcération d'Olivier Vandecasteele

L'incarcération d'Olivier Vandecasteele

7 februari 2023

Cette fiche est rédigée à l’attention des tou·te·s les enseignant·e·s et éducateur·rice·s de secondaire. Elle propose différentes pistes de réflexion parmi lesquelles choisir afin de mener une discussion de 15 minutes (ou plus si le contexte le permet). Crédit photo : Amnesty International.

Les faits

Olivier Vandecasteele est un travailleur humanitaire belge. Le 24 février 2022, il a été arrêté à Téhéran, en Iran. Il a été condamné à 40 ans de prison et 74 coups de fouet après un simulacre de procès, sans accès à des avocat·es de son choix. On lui reproche, selon l’agence de presse iranienne Tasnim, l’espionnage, la coopération avec les USA contre l’Iran, la contrebande de devises et le blanchiment d’argent.

Isolement total et conditions de vie difficiles
Olivier Vandecasteele est actuellement incarcéré à la prison d’Evin, dans la capitale iranienne, dans des conditions de vie difficiles. Il subit en effet un isolement complet dans une cellule sans mobilier, sans lit, avec un éclairage allumé en continu et une alimentation basique. Les plats qui lui sont fournis passent par une fente située dans le bas de la porte du cachot, sans aucun contact humain.

En juillet 2022, près de six mois après son incarcération, ses proches n’étaient entré·es en contact avec lui qu’une seule fois. L’ambassadeur belge à Téhéran lui a, pour sa part, rendu sept visites depuis sa condamnation. Au cours de la dernière rencontre, Olivier Vandecasteele est apparu amaigri.

La Belgique se mobilise
Les proches d’Olivier Vandecasteele se sont mobilisé·es en parcourant la Belgique afin de récolter des signatures pour la pétition lancée par Amnesty International.

Le 12 janvier dernier, une bâche a été déployée sur le beffroi de Tournai, ville dont il est originaire. Plusieurs communes ont voté des motions de soutien.

La ministre belge des Affaires étrangères, Hadja Lahbib a affirmé que pour la Belgique, Olivier Vandecasteele était innocent et qu’il devait être libéré. D’ici là, elle a demandé une amélioration de ses conditions de détention. Le ministre belge de la Justice, Vincent Van Quickenborne, a quant à lui attesté que les autorités iraniennes n’avaient donné aucune raison juridiquement valable à son incarcération.

En attente d’une décision de la Cour constitutionnelle
L’Iran souhaite que la Belgique libère Assadollah Assadi, un Iranien condamné en Belgique à 20 ans de prison pour un projet d’attentat terroriste contre l’opposition iranienne. La Belgique a négocié avec l’Iran un traité de transfèrement qui permettrait à des prisonniers belges condamnés en Iran de purger leur peine en Belgique, et réciproquement. Le projet est d’utiliser ce moyen pour échanger Assadolah Assadi avec Olivier Vandecasteele.

L’opposition iranienne s’y est toutefois opposée en introduisant plusieurs recours en justice. La Cour constitutionnelle se prononcera définitivement, au plus tard le 5 mars, sur le caractère légal ou illégal de la loi validant le traité sur le transfert de détenu·es. La prochaine audience devant la Cour constitutionnelle est prévue le 15 février. La décision devrait tomber dans la foulée.

Rédigé à partir de la contribution de Virginie Stassen.

Penser les faits : quelques pistes

Le mauvais traitement
Olivier Vandecasteele est détenu dans des conditions épouvantables.

Comment peut-on expliquer de traiter de façon inhumaine un être humain ? Comment expliquer ce qu’on peut appeler une forme de cruauté gratuite ? Pensez-vous que vous pourriez, vous, traiter quelqu’un de cette façon ? L’expérience de Milgram montre que deux personnes sur trois peuvent, si elles sont mises dans les conditions adéquates, tuer de sang froid une personne qui ne leur a fait aucun mal. Sommes-nous si sûr·es d’être différent·es ?

Conditions de détention
La surpopulation des cellules et l’insalubrité des établissements pénitentiaires ont valu plusieurs condamnations à la Belgique. Comment explique-t-on que les Belges s’indignent des conditions de détention d’Olivier Vandecasteele, mais ne se soucient qu’assez peu de celles qui ont cours dans leurs propres prisons ?

Il n’avait qu’à pas…
Certain·es estiment qu’Olivier Vandecasteele a pris, en connaissance de cause, un risque inconsidéré en se rendant en Iran et qu’il « n’a que ce qu’il mérite ». La Belgique ne devrait pas, selon ce point de vue, dépenser de l’énergie pour obtenir sa libération. D’autres pensent au contraire qu’un pays doit toujours venir en aide à ses ressortissant·es, quoi qu’ils aient fait. Qu’en pensez-vous ?

Pour éclairer ce débat, on peut mentionner que quelqu’un qui prend sa voiture avec 4 grammes d’alcool dans le sang prend aussi un risque considérable avec sa vie (et celle d’autrui). Faut-il, s’il ou elle fait un accident, s’abstenir d’envoyer les secours ? Faut-il pareillement refuser de rembourser les frais médicaux des fumeurs et fumeuses atteint·es d’un cancer des poumons ?

Universalité des droits humains
Les autorités iraniennes ne respectent pas un certain nombre de droits fondamentaux. Peut-on dire que le fait que les autorités iraniennes ne respectent pas ces droits signifie qu’ils ne sont pas universels, inhérents à tout être humain ? Le fait que les iranien·nes manifestent dans les rues pour les obtenir signifie-t-il l’inverse ?

Si l’Iran veut décider qu’on peut incarcérer des gens qui n’ont rien fait, de quel droit pourrait-on l’en empêcher ? S’y opposer n’est-il pas une façon de se penser supérieur, de croire qu’on a le droit de lui faire la leçon alors que c’est un pays indépendant ?

L’Iran a pourtant signé un certain nombre de conventions internationales par lesquelles il s’engage à respecter les droits humains. Comment les autorités d’un pays peuvent-elles demander à ses habitant·es de respecter ses lois s’il ne respecte pas lui-même ses obligations internationales ? Pensez-vous que l’État doit montrer l’exemple ?

Que penser d’une personne qui ne respecte pas sa signature, son engagement, sa promesse ? Ce qui est vrai pour des personnes l’est-il pour un État comme l’Iran qui ne respecte pas les conventions qu’il a signées ?

Tout faire…
La famille d’Olivier Vandecasteele souhaite que tout soit entrepris pour libérer Olivier. On le comprend aisément si on se met une seconde à sa place.

Que signifie « tout » ? Imaginons que l’Iran demande une rançon, en argent. La Belgique devrait-elle payer, quel que soit le montant ? Que vaut une vie humaine ? « Tout entreprendre » pourrait-il signifier qu’il faut envoyer un commando sur place afin de le libérer ? Au point de risquer la vie des membres du commando ? Faut-il fixer des limites à ce que nous serions prêt·es à faire pour obtenir la libération d’Olivier Vandecasteele ? Si oui, où les situez-vous ?

Un tiens vaut-il mieux que deux tu l’auras (peut-être) ?
L’Iran semble avoir arrêté Olivier Vandecasteele pour contraindre les autorités belges à leur livrer, en échange, Assadolah Assadi (condamné à 20 ans de prison en Belgique pour avoir préparé un attentat terroriste de grande ampleur).

Ceci amène deux postures.

  1. Certain·es sont favorables à cet échange. Cela permettrait en effet de libérer un innocent. La condamnation d’un innocent est, selon ce point de vue, l’injustice suprême et une société doit tout – absolument tout – mettre en œuvre pour respecter ce principe absolu.
  2. D’autres sont défavorables à cet échange et avancent les arguments suivants.

Libérer un terroriste est dangereux. Ne pourrait-il pas recommencer et tuer d’autres personnes.

Libérer prématurément une personne pour d’autres raisons que sa bonne conduite et ses perspectives de réinsertion est inéquitable pour toutes les autres personnes incarcérées. Elle doit purger sa peine comme elle y a été condamnée.

La décision de libérer un détenu serait cette fois prise par le gouvernement et non par le pouvoir judiciaire. Ce serait contraire au principe de séparation des pouvoirs, contraire à l’État de droit.

Donner satisfaction à des preneur·ses d’otages encouragerait cette pratique. Cela mettrait potentiellement en danger toute la société, Belges qui risqueraient d’être « pris en otage » ou victimes d’attentats.

Dans un cas, on sauve sûrement une personne, réelle, concrète, avec un visage. Dans l’autre cas, on sauve – peut-être – de plus ou moins nombreuses personnes, sans qu’il soit possible de leur donner ni nom ni visage. Qu’en pensez-vous ?

Olivier Van Steirtegem, le porte-parole de la famille Vandecasteele a dit, à l’antenne de la RTBF : « Mieux vaut [avoir] cent terroristes en liberté qu’un innocent en prison ». Qu’en pensez-vous ?

Deux poids deux mesures
Le régime iranien détient aussi d’autres « otages » occidentaux en vue d’obtenir des concessions des pays dont ils et elles sont ressortissant·es et des centaines d’Iranien·nes sont incarcéré·es pour avoir exprimé pacifiquement leur opinion. Certain·es ont été condamné·es à mort et, parfois, exécuté·es.

Qui se préoccupe de Narges Mohammadi ou du docteur Djalali, par exemple ? Les autorités belges ont refusé d’octroyer un titre de séjour à deux Iraniens qui risquent l’arrestation et les mauvais traitements en cas de retour au pays. Y a-t-il des vies plus importantes que d’autres ? Sur quelle base mérite-t-on plus d’attention ? « Mérite-t-on » sa nationalité ou est-ce le hasard qui nous a fait naître ici plutôt que là ?

Par ailleurs, depuis plus de vingt ans les autorités étasuniennes incarcèrent des prisonniers, dans des conditions inhumaines et dégradantes, au sein du centre de détention de Guantanámo, parfois sans inculpation ni jugement. Sommes-nous davantage « choqué·es » et prêt·es à nous mobiliser quand ce sont les autorités iraniennes qui ne respectent pas les droits humains que quand ce sont les pays occidentaux ? Cela fait-il une différence à nos yeux ?

Olivier Vandecasteele est un travailleur humanitaire. Il a contribué à améliorer la vie de très nombreuses personnes dans le monde, notamment en Afghanistan et au Mali. Il a travaillé cinq ans en Iran. Arrêter arbitrairement, condamner à une lourde peine et incarcérer dans des conditions épouvantables une personne qui a fait du bien est-il encore plus grave que s’il s’était agi d’une personne « ordinaire » ?

Le fait qu’Olivier Vandecasteele ait consacré sa vie à secourir les autres doit-il avoir pour effet qu’il faut le soutenir davantage que si ce n’était pas le cas, voire si c’était une crapule ?

Relais médiatique
Les médias parlent beaucoup d’Olivier Vandecasteele. Le 20 janvier, ils lui ont tous consacré leur Une. Cette pratique, peu courante dans un contexte de concurrence éditoriale, permet de réfléchir au traitement médiatique d’un sujet de société. Quel est l’objectif des médias en agissant ainsi ? Quel impact ce genre d’initiative a-t-il sur l’opinion publique ?

Avant cette opération des médias francophones, comment cette information vous était-elle parvenue ? Via le traitement des médias d’information classiques (radio, presse écrite, presse quotidienne en ligne, presse audiovisuelle ) ou par un autre canal (bouche à oreille, pétition, réseaux sociaux, etc.) ?

Cette opération permet également d’entamer une réflexion plus globale sur la dimension sociale des médias.

Quel média est le plus efficace pour diffuser une telle information, visant à toucher l’opinion publique ? L’efficacité réside-t-elle dans la complémentarité ?
Est-ce suffisant pour mobiliser les différents acteur·rices de la société ? Faut-il d’autres actions ? Passer par d’autres médias ? Si oui, lesquels sont les plus efficaces pour mobiliser ? Agir ?
Des médias ont interrogé la mère d’Olivier Vandecasteele, jouant davantage la carte de l’émotion que de l’information. Quelle place l’émotion peut-elle avoir dans une émission d’information ?

Signer une pétition
Signer une pétition, c’est marquer son soutien à l’idée qu’elle véhicule. Les jeunes peuvent-ils et elles les signer ? Certain·es prétendent que l’adhésion d’un·e jeune à une idée n’est pas encore très solide parce qu’il ou elle n’est pas encore en capacité de se forger une opinion éclairée. La Convention internationale des droits de l’enfants précise (voyez les articles 12 et 13) que les mineur·es (moins de 18 ans) doivent pouvoir s’exprimer. Ce qui se passe dans le monde peut les intéresser et les concerne.

Pensez-vous que votre avis vaut moins que celui d’un·e adulte qui a davantage d’expérience ? Pensez-vous au contraire que votre avis vaut plus que celui d’un·e adulte qui, en moyenne, a moins d’années encore à vivre ? Pensez-vous que les avis des adultes et des mineur·es sont équivalents ?

Note pour l’enseignement fondamental

L’incarcération injuste d’Olivier Vandecasteele permet de développer différentes compétences disciplinaires del’éducation à la philosophie et à la citoyenneté telles que :

    • élaborer un questionnement philosophique (et plus particulièrement, formuler des questions à portée philosophique à partir de l’étonnement) ;
    • assurer la cohérence de sa pensée ;
    • prendre position de manière argumentée ;
    • s’ouvrir à la pluralité des cultures et des convictions ;
    • comprendre les principes de la démocratie (particulièrement distinguer les différents pouvoirs, leur champ d’application et leurs rôles respectifs) ;
    • se reconnaître, soi et tou·tes les autres, comme sujets de droits ;
    • contribuer à la vie sociale et politique (en particulier imaginer un société et/ou un monde meilleurs).

Selon les âges, les enseignant·es pourront :

    • expliquer (i) l’injuste condamnation d’un homme qui n’a rien fait et (ii) la pénibilité de ses conditions de détention ;
    • répondre aux questions de clarification ;
    • recueillir les émotions des enfants (comment voussentez-vous ? Pourquoi l’injustice nous met-elle dans des états pareils ?) ;
    • Tout en découvrant les articles 12 et 13 de la Convention internationale des droits de l’enfant, faire rédiger, individuellement et collectivement, une lettre aux autorités iraniennes pour demander la libération d’Olivier Vandecasteele puis se rendre à la boîte postale pour y glisser leur enveloppe (adressée à S.E. l’Ambassadeur de la République islamique d’Iran – Ambassade de la République islamique d’Iran – Avenue Franklin D. Roosevelt 15 – 1050 Bruxelles).

Convention internationale des droits de l'enfant (extraits)

Article 12 – 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

Article 13 – L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.


Coupe du monde de football

Coupe du monde de football

16 november 2022

Cette fiche est rédigée à l’attention des tou·tes les enseignant·es et éducateur·rices de secondaire. Elle propose différentes pistes de réflexion parmi lesquelles choisir afin de mener une discussion de 15 minutes (ou plus si le contexte le permet). Photo : Pexels sur Pixabay.

Les faits

La Coupe du monde masculine de football aura lieu du 20 novembre au 18 décembre au Qatar. Le Qatar est trois fois plus petit que la Belgique et compte 2,5 millions d’habitant·es, les migrant·es représentent 94 % de la population active et 70 % de la population totale. Ce pays désertique de la péninsule arabique est, depuis la création de cette compétition en 1930, le premier pays arabe à organiser cette épreuve sportive. La FIFA (Fédération internationale de football association) a attribué l’organisation de cette compétition au Qatar le 2 décembre 2010. À l’époque, les États-Unis, le Japon, l’Australie et la Corée du Sud avaient aussi présenté leur candidature.

Depuis l’annonce de ce choix de la FIFA pour le Qatar en 2010, celui-ci a été controversé, principalement pour trois raisons. Les manquements en ce qui concerne les droits humains dans ce pays, son climat désertique, peu propice à l’organisation d’une épreuve sportive ou encore les soupçons de corruption sur sa désignation comme pays hôte. Ces controverses ont resurgi ces dernières semaines, à l’approche du début du tournoi.

En ce qui concerne les droits humains, de nombreuses ONG (dont Amnesty International) mettent en avant le fait que la liberté d’expression est bafouée au Qatar. Les dissident·es qui, notamment sur les réseaux sociaux, se prononcent contre le régime risquent d’être emprisonné·es. Les droits des femmes ne sont pas non plus respectés puisque ces dernières ne peuvent pas se marier, entreprendre des études, voyager à l’étranger, etc. sans avoir l’autorisation de leur tuteur, généralement leur père, leur frère ou leur mari. Toujours en ce qui concerne le respect des droits humains, les relations entre personnes du même sexe sont illégales au Qatar. Enfin, les ONG et d’autres institutions internationales ont aussi pointé du doigt les conditions de travail des ouvrier·ères, principalement des migrant·e.s, lors de la construction des stades et autres infrastructures sportives nécessaires à la Coupe du monde. Des conditions de travail indécentes à cause de la chaleur extrême mais aussi des horaires excessifs, du faible salaire, la confiscation des passeports, la tromperie quant à la rémunération ou au type de travail entrepris ou encore de l’impossibilité de former un syndicat pour se défendre. Plusieurs milliers de travailleur·euses sont d’ailleurs mort·es sur ces chantiers.

D’un point de vue environnemental, ce sont les stades climatisés du Qatar qui posent question. En effet, pour permettre aux joueurs de jouer mais aussi aux spectateur·rices d’assister aux matches dans de bonnes conditions, les stades ont été construits avec des systèmes permettant de refroidir la température extérieure. En novembre, cette dernière peut avoisiner les 30 degrés. C’est d’ailleurs pour des raisons climatiques que cette Coupe du monde a été déplacée à cette période de l’année, cet événement se déroulant généralement en été.

Face à ces controverses concernant les droits humains au Qatar et l’impact environnemental de la Coupe du monde, certaines associations et groupes de citoyen·nes exigent le boycott de cet événement. En d’autres mots, ils veulent que les joueurs, les spectateur·rices, les médias, les sponsors… et les téléspectateur·rices refusent de regarder ou de participer à cette compétition en guise de protestation. En Belgique, des communes et des établissements Horeca ont annoncé qu’ils ne diffuseraient pas les matches joués au Qatar.

31 des 32 équipes nationales – dont celle de la Belgique – qui participent à cette Coupe du monde se sont qualifiées pour la phase finale de la compétition à la suite de leurs résultats obtenus lors des matches éliminatoires auxquels 208 fédérations ont participé entre 2020 et 2022. Le Qatar, lui, était qualifié automatiquement en tant que pays organisateur.

Anouck Thibaut (15/11/2022)

Penser les faits : quelques pistes


Augmentation du coût de l'énergie

Augmentation du coût de l'énergie

14 september 2022

Cette fiche est rédigée à l’attention des tou·te·s les enseignant·e·s et éducateur·rice·s de secondaire. Elle propose différentes pistes de réflexion parmi lesquelles choisir afin de mener une discussion de 15 minutes (ou plus si le contexte le permet).

Les faits

Le prix de l’énergie dans l’Union européenne a atteint des niveaux records en 2022. Cette hausse a commencé en 2021 au lendemain de la pandémie de COVID-19. En effet, lors de la relance économique post-COVID-19, la demande en énergie a fortement augmenté. Les gens ont recommencé à se déplacer, travailler, voyager, consommer, sortir, etc. et tout cela a généré une demande énergétique accrue. Or, l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) n’a pas pour autant augmenté sa production de pétrole. Les prix ont alors connu une première envolée car l’offre était inférieure à la demande.

Guerre en Ukraine et sanction russe
Les prix ont connu une deuxième envolée suite au déclenchement de la guerre en Ukraine. La Russie a en effet pris la décision unilatérale de suspendre les livraisons de gaz à certains États membres de l’UE, qui soutenaient l’Ukraine. Ceci a eu pour conséquence de faire grimper le prix du gaz, et d’entraîner un nouveau record des prix de l’électricité dans l’UE. Il faut avoir que la Russie fournissait 30 % en moyenne du gaz à l’Europe (et 50 % à l’Allemagne, qui est le moteur de l’Europe). Il existe donc de forts liens d’interdépendance énergétique entre ces pays. Aujourd’hui, les membres de l’UE cherchent de nouvelles sources d’approvisionnement, qui pourraient provenir des pays nordiques, et notamment de la Norvège[1].

Concrètement, entre mai 2021 et mai 2022, le prix du gaz naturel a augmenté en moyenne de 98,42 % en Belgique. La facture de gaz moyenne annuelle des Belges est ainsi passée de 1215,28 € à 2411,36 €. Les États-Unis, quant à eux, ne sont pas inquiétés par cette hausse, car ils produisent eux-mêmes leur pétrole, et fractionnent désormais le gaz de schiste pour ne plus dépendre de la Russie.

Une inflation galopante
Une autre conséquence de l’augmentation du prix de l’énergie est l’inflation. En effet, presque la totalité de ce que nous consommons est produit à base de gaz ou de pétrole. Le coût de la production et du transport de ces produits a également augmenté, ce qui se répercute sur le prix de vente. Le taux d’inflation annuel devrait s’élever à 9,4 % en 2022, contre 2,44 % en 2021 et 0,74 % en 2020.

Or, lorsque l’inflation augmente, les taux d’intérêt grimpent aussi. En effet, lorsque l’inflation est élevée, les prêteurs savent que lorsqu’ils seront remboursés, l’argent qu’ils ont prêté aura perdu de la valeur. Ils exigent alors un taux d’intérêt plus élevé pour compenser cet écart.

Une impact direct sur les citoyen·nes
Cette augmentation des prix de l’énergie n’est pas sans conséquence sur les ménages, mais aussi les entreprises et les écoles. Nous devrons cet hiver réinventer notre façon de nous chauffer, que ce soit en diminuant le thermostat (saviez-vous qu’un degré un moins, c’était 5 % de moins sur la facture ?), en superposant les pulls ou en limitant la durée de nos douches chaudes. Peut-être l’occasion de réfléchir à notre consommation d’énergie ?

Virginie Stassen (09/06/2022)

Penser les faits : quelques pistes

Pas possible de vivre autrement ?
Avec l’augmentation du prix de l’énergie on voit comment nous sommes bousculé·es dans nos modes de vie. Si nous y sommes contraint·es par des dispositions légales nous pouvons nous adapter, mais ressentons très vite que la situation ne nous convient pas, aspirons de « revenir à la normale ». Cette « normale » semble incarner notre alpha et notre oméga. Souffrons-nous d’addiction à ce mode de vie « normal » ? Sommes-nous drogué·es à notre mode de vie au point que tout ce qui nous en écarte serait devenu insupportable ? Est-ce que le changement peut faire peur ? peut être encouragé ? Est-il « normal » d’avoir besoin d’autant d’énergie pour vivre ? Sommes-nous réellement libres ou conditionné·es à faire comme on a toujours fait / à être comme on a toujours été ?

Qu’est-ce qu’une mesure juste ?
Si l’État diminue les accises sur l’énergie, il paie lui-même x centimes par litre de carburant pour diminuer d’autant la facture du consommateur ou de la consommatrice. Cependant, serait-il juste, pour l’État :

  • de diminuer le prix de l’énergie de la même façon pour la personne qui l’utilise pour chauffer sa piscine que pour celle qui ne l’utilise que pour chauffer son appartement ?
  • d’octroyer une aide du même montant aux riches et aux pauvres ? de traiter de la même façon la personne qui a fait le choix de conduire un gros 4×4 qui consomme énormément, voire d’utiliser un jet privé, et celle qui s’est contentée d’une petite voiture ?
  • d’octroyer une aide équivalente à la personne qui achète de l’essence pour conduire ses enfants à l’école éloignée, ou que son métier contraint à rouler beaucoup et à celle qui en profitera pour partir en vacances ? Y a-t-il des utilisations de l’énergie plus « nobles » ou plus « justifiables » que d’autres ?

Quelle différence fait-on entre égalité, équité et solidarité ?
Faut-il privilégier une mesure « juste » ou une mesure « simple » (à comprendre et à appliquer) ?

Milieu rural et milieu urbain
La Région bruxelloise est très richement pourvue en transports en commun financés par la collectivité. Ce n’est pas le cas dans les villages de régions plus rurales. De nombreux·ses habitant·es n’ont pas le choix et doivent utiliser un véhicule automobile pour se déplacer.
Est-il équitable que certain·es, pour la raison qu’ils et elles sont plus nombreux·ses, bénéficient d’une offre plus grande en modes de déplacement alternatifs ? Qu’en pensez-vous ?

Genre et coût de l’énergie
Les personnes qui éprouvent le plus de difficultés à faire face à l’augmentation du prix de l’énergie sont les familles les plus pauvres. Parmi elles, on retrouve notamment les familles monoparentales avec un grand nombre de femmes chef de ménage. Les femmes ont, en moyenne, plus la garde des enfants que les hommes. Elles ont aussi souvent moins de revenus.
Globalement, les femmes sont plus touchées que les hommes par ces hausses de prix. Trouvez-vous qu’elles devraient faire l’objet de davantage d’aide ?

Changement climatique et déconsommation
Cela fait quelques années que se sont intensifiées et qu’ont été médiatisées les manifestations pour le climat qui ont relevé notamment le problème des énergies. Or, il semble que ce n’est que maintenant, alors que le prix du carburant augmente, que l’on voit apparaître, de façon plus significative, des stratégies de réduction de sa consommation.

L’argent est-il un moteur plus puissant que la conscience pour opérer un changement de comportement ? Certain·es consommateur·rices affirment vouloir consommer « mieux » plutôt que « plus ». Selon vous, y a-t-il d’autres raisons qui peuvent motiver cette « déconsommation » ?

Certaines personnes choisissent de faire des économies d’énergie dans l’intérêt général (ex : diminuer le thermostat pour consommer moins d’énergie). D’autres préfèrent chauffer correctement la chambre d’un bébé par exemple. Comprenez-vous ce type de raisonnement ? Y a-t-il des bonnes et des mauvaises raisons ? Que penser du fait que certain·es font des efforts et d’autres pas, que celles et ceux qui n’en font pas profitent des efforts des autres ?

Les entreprises doivent-elles prendre leur part dans l’effort collectif ? Certaines mesures y sont prises pour faire des économies, mais cela leur permet surtout d’augmenter leurs profits ou d’atténuer leur pertes. Doivent-elles le faire aussi en perdant de l’argent (par exemple, un centre commercial devrait-il installer plus de bancs dans ses allées pour permettre à des personnes sans domicile fixe de s’y trouver au chaud cet hiver, au risque de perdre une part de sa clientèle ?) ?

D’autres pensent que c’est aux pouvoirs publics d’organiser une réponse collective organisée. Quelle place l’État occupe-t-il dans nos vies? Est-ce toujours à l’État de trouver des solutions à tous les problèmes ? Cela risque-t-il de déresponsabiliser les citoyen·nes ? Qu’en pensez-vous ? Comment définiriez-vous le type de solidarité entre individus qu’incarne l’État ?

Les surprofits sont-ils indécents ?
Si je produis un bien quelconque à 15 € l’unité, le commercialise à 20 € l’unité, je réalise une profit de 5 € par unité. Si, un mois plus tard, le prix de ce bien se trouve soudain augmenté et passe à 100 €, je ferai un bénéfice de 85 € par unité. Ainsi, les entreprises productrices d’énergie (d’électricité, par exemple) ont-elles augmenté considérablement leur profit. Elles réalisent des gains exceptionnels.

D’aucun·es jugent ces gains « indécents ». Qu’est-ce qui est, pour vous, « indécent » ? Considérez-vous que ces profits exceptionnels sont indécents ? Pourquoi ? Est-ce plus ou moins indécent que les profits gigantesques engrangés par certaines grosses entreprises ou multinationales ?

Ces profits ne sont pas perdus. Ils seront distribués à l’État sous forme de taxation, mais aussi (et surtout) aux actionnaires sous forme de dividendes et d’augmentation de la valeur de leurs actions. En quoi serait-ce problématique ou indécent que ces personnes recueillent le fruit de leur investissement ?

Sans procéder à des généralisations abusives, certaines entreprises « profitent » comme c’est le cas ici, de la hausse soudaine du prix du produit qu’elles commercialisent. D’autres entreprises réalisent des profits exceptionnels en exploitant leurs travailleurs (conditions de travail désastreuses pour des salaires de misère) et/ou en ne respectant pas les normes environnementales (des pétroliers qui vident leurs cales dans la mer pour éviter les frais de nettoyage de ces cales). Peut-on comparer ces façons de réaliser des profits ?

[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/21/guerre-en-ukraine-la-production-de-gaz-naturel-norvegien-au-maximum-de-sa-capacite_6118422_3210.html

Crédit photo : somchaij sur iStock.

Pour aller plus loin :


Fusillade dans une école au Texas

Fusillade dans une école au Texas

29 mei 2022

Cette fiche est rédigée à l’attention des tou·te·s les enseignant·e·s et éducateur·rice·s de secondaire. Elle propose différentes pistes de réflexion parmi lesquelles choisir afin de mener une discussion de 15 minutes (ou plus si le contexte le permet). Crédit photo : Charles Mann via iStock.

Les faits

Mardi 24 mai 2022, la petite ville d’Uvalde au Texas (États-Unis) a été le théâtre d’une fusillade qui a fait 21 victimes. Le tueur, Salvador Ramos, âgé de 18 ans, était en tenue paramilitaire et armé d’un fusil d’assaut et de munitions quand il est entré dans l’école primaire Robb. En moins d’une heure, il a tué 19 enfants d’à peine 10 ans ainsi que deux enseignantes, et blessé 17 autres personnes avant d’être abattu par une unité d’élite de la police aux frontières (Uvalde se situe à moins de 100 km du Mexique). Plus tôt dans la matinée, il avait également tiré sur sa grand-mère qui est toujours dans un état critique.

Juste avant de passer à l’acte, Salvador Ramos a annoncé sur Facebook dans une conversation privée son intention de “faire feu sur une école primaire”. Sur Instagram, il avait publié une photo de deux armes automatiques et sur TikTok, la description de son compte était les enfants sont effrayés dans la vraie vie ». Ses comptes ont depuis été désactivés.

Aux États-Unis, le port d’arme est d’abord réglementé au niveau fédéral, puis par chaque État. Le droit de posséder une arme est garanti par le deuxième amendement de la Constitution américaine. Chaque État a ses propres lois sur le port d’armes, et décide s’il est nécessaire ou non d’avoir un permis pour en porter et en utiliser une. Ramos a acheté ses armes quelques jours après son 18e anniversaire.

Ces tueries relancent régulièrement le débat sur la détention d’armes aux États-Unis mais les institutions se heurtent à la puissance des lobbys et se sont toujours révélées incapables de voter une loi à l’échelle nationale. Tandis que certains, comme le très conservateur gouverneur du Texas, Greg Abbott, ou la NRA (National Rifle Association) principal lobby pro-armes du pays, soulignent l’instabilité mentale du tueur, d’autres comme le démocrate Beto O’Rourke ou le sénateur du Connecticut Chris Murphy, dénoncent la responsabilité d’un système facilitant l’accès aux armes. En 2020, plus de 4 000 enfants ont été tués par balle. Depuis le 1er janvier, plus de 200 fusillades – dont 27 dans des écoles – y ont déjà eu lieu. La fusillade d’Uvalde est l’un des pires massacres par arme à feu de ces dernières années aux États-Unis.

Malgré ce drame, la NRA a choisi de maintenir sa convention annuelle à Houston, qui a lieu à quelques heures seulement d’Uvalde et trois jours à peine après la fusillade. Le fabricant de l’arme achetée par Ramos a annoncé qu’il ne s’y rendrait pas. Donald Trump a confirmé sa participation. Abbott est quant à lui pointé du doigt pour son soutien marqué en faveur du second amendement. Le président Joe Biden a quant à lui fait part de sa volonté de “transformer la douleur en action ». À travers le pays, de nombreuses personnalités réclament une régularisation du port des armes. Le mouvement March for our Lives a appelé à un grand rassemblement le 11 juin prochain à Washington pour demander un durcissement de la réglementation sur les armes.

Marine Bardin
27 mai 2022

Penser les faits

La sécurité
En quoi le sentiment de sécurité est-il un élément fondamental de l’épanouissement et de l’accomplissement de chaque être humain ? Quel niveau de risque sommes-nous prêt·es à accepter ? Ce besoin de sécurité est-il absolu ? La sécurité est la justification donnée par les autorités pour permettre aux policiers de procéder à des écoutes téléphoniques, à lire nos mails. Où mettre l’équilibre entre sécurité et liberté individuelle ? Serions-nous prêt·es, pour des raisons de sécurité à transformer nos écoles en lieux retranchés, avec détecteurs à l’entrée, hauts murs d’enceinte, policiers en nombre, etc. ? Pensez-vous que les écoles sont perçues – ou devraient l’être – comme des endroits qui devraient être protégés de toutes les violences extérieures ? Pensez-vous que des conflits (à grande échelle entre pays ou à petite échelle entre familles ou quartiers) qui se passent en dehors de l’école s’introduisent au sein de l’école ou, au contraire, l’école est-elle hermétique à ces violences ?

Universalité
Beaucoup de personnes vivant en Belgique ne comprennent pas qu’un pays tel que les États-Unis d’Amérique, dont le mode de vie est grosso modo semblable au nôtre, soit à ce point attaché au droit de porter une arme… et en use. Nous avons grandi dans un environnement où ce n’était pas le cas et vivons sans ressentir le besoin de détenir des armes. C’est notre représentation d’une vie « normale ».

Aux États-Unis d’Amérique, le droit de détenir et porter une arme date de l’Indépendance. Il est basé sur l’idée, cruciale en ce temps-là, que la population doit avoir les moyens de se révolter contre l’État si celui-ci devait prendre des allures de dictature. Depuis lors, les américains ont vécu dans ce système. C’est leur représentation d’une vie « normale ».

Faut-il accepter que coexistent des systèmes différents dans les pays différents ou bien peut-on avancer qu’existe un système meilleur et universel pour tout le monde ? Dans un même ordre d’idées, faut-il accepter qu’existent en Arabie saoudite, Iran et Afghanistan (notamment) des règles qui interdisent aux femmes de nombreux actes et comportements autorisés aux hommes ? Ne peut-on pas dire que c’est leur représentation d’une vie « normale » ?

La valeur d’une vie humaine
Tuer un être humain, c’est le priver de sa vie. C’est irréparable. Tuer est considéré depuis toujours comme un crime extrêmement grave. Un homme qui tue dix-neuf enfants et deux enseignantes ne respecte pas une loi fondamentale et attire tous les reproches du monde entier.

Êtes-vous d’accord que rien ne surpasse la valeur d’une vie humaine ? Cette idée que rien ne surpasse la valeur d’une vie humaine, est-elle le fruit d’un ressenti ou la conséquence d’un raisonnement ? Comment feriez-vous pour l’expliquer ou la faire comprendre à une personne qui ne la partagerait pas ? Comment la valeur d’une vie est-elle déterminée ? Si c’est le cas, comment expliquez-vous qu’on autorise encore la vente de cigarettes qui tuent un très grand nombre de personnes chaque année ou qu’on laisse des millions de personnes mourir de la faim ou des conséquences de conflits oubliés ?

Le harcèlement scolaire
Salvador Ramos, l’auteur de la fusillade, souffrait apparemment d’un trouble de la parole — un bégaiement et un zézaiement — depuis son jeune âge. Il aurait par ailleurs été victime de harcèlement scolaire, notamment à cause de ses tenues vestimentaires et de ses problèmes financiers. Comment expliquez-vous ce phénomène de harcèlement scolaire ? Pourquoi rejeter les personnes qui ne nous ressemblent pas ? Le harcèlement se fait souvent en groupe. Imiter les autres, se conformer aux règles d’un groupe n’est-il pas un signe d’aliénation ?

On ne peut pas, à ce stade-ci, lier clairement le harcèlement dont Salvador Ramos a été victime et l’acte qu’il a commis. De façon plus générale, les personnes harcelées peuvent développer des symptômes de dépression pouvant amener jusqu’au suicide, ou une haine féroce qui peut se muer en violence et devenir une plaie pour la société.

Imaginez que vous découvriez que votre frère ou votre sœur, ou votre meilleur·e ami·e harcèle des personnes de sa classe. Interviendrez-vous pour lui demander d’arrêter ? Pourquoi ? Si oui, comment vous y prendriez-vous ? Quel type de message conviendrait-il ? Faut-il essayer de raisonner la personne ? Mobiliser ses sentiments ? Pourquoi ?

Quelle responsabilité ?
Qui est responsable de la mort de ces enfants ?
Il y a Salvador Ramos, d’abord, bien sûr. C’est lui qui est venu et qui a tiré. Est-il seul responsable ? Existe-t-il des circonstances particulières dans lesquelles la responsabilité est, au moins, partagée ? Quelle différence existe-t-il entre être l’auteur·e d’un acte et en être responsable, voire coupable ? Qu’en est-il de la responsabilité de la société qui met en place un système dans lequel certain·es se trouvent en grande difficulté ?

Qui est (co-)responsable ? Seulement Salvador Ramos ? La NRA ( National Rifle Association, le plus puissant lobby pro-armes aux USA) qui s’oppose à toute mesure visant à limiter le commerce des armes, ce qui a pour conséquence que les armes pullulent ? Les jeunes qui ont harcelé Salvador Ramos et l’ont rempli de haine ? Ses enseignant·es et parents qui n’ont rien vu venir ? Les personnes qui ont lu ses avertissements sur les réseaux sociaux, mais n’ont pas prévenu la police ?

L’ancien président Trump a traité Salvador Ramos de monstre. Il a insisté sur le fait que la meilleure manière d’empêcher les méchants de faire du mal est d’armer les bons.Pensez-vous que ce soit aussi simple : qu’il y a des gens qui sont bons, d’un côté et des gens qui sont mauvais, de l’autre ? Quelle place les circonstances jouent-elles dans nos choix ? Traiter quelqu’un de monstre n’est-il pas une façon d’oublier la commune humanité qui nous lie avec Salvador Ramos ? Cela ne nous exonère-t-il pas d’une réflexion intime sur la façon dont nous gérons le risque de devenir comme elles et eux dans des situations extrêmes ?

Sources et liens utiles


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